Chers amis,

Je vous écrivais, dans ma lettre de vendredi, « Sécheresse », que les conséquences prévisibles de cet épisode de chaleur extrême ne sauraient être uniquement imputées au réchauffement climatique, mais également aux choix politiques et économiques faits en agriculture depuis plus d’un siècle.

Ces choix engagent désormais notre sécurité alimentaire.

Le plus ancien et le plus funeste de ces choix est l’abandon des polycultures traditionnelles au profit de monocultures intensives.

Nikolaï Vavilov s’alarmait déjà, il y a un siècle, de « l’érosion de la biodiversité » des semences agricoles.

Cette érosion était alors la conséquence des premières politiques de supervision étatique de l’agriculture, mais également du « progrès » des technologies agricoles et des exodes ruraux au profit des villes. 

Ces causes se sont enracinées… et d’autres, peut-être plus graves encore car plus radicales, s’y ajoutent désormais : 

« Les causes de cette érosion génétique sont multiples, depuis le remplacement complet de plusieurs variétés traditionnelles par une seule culture commerciale jusqu’à la transformation ou fragmentation des paysages agricoles par l’industrialisation et l’urbanisation ; le détournement des ressources d’eau, naguère utilisées pour la production agricole, à d’autres fins ; la perte des savoirs traditionnels, s’agissant de la préservation des semences, parmi la population rurale à mesure que les agriculteurs cèdent à la publicité et à la facilité d’acheter des semences hybrides ; enfin l’interdiction de la production des variétés traditionnelles via une législation instaurant des brevets d’obtention végétale et des accords de libre-échange. Selon la FAO, environ trois-quarts de la diversité des cultures agricoles se sont perdus au cours du XXè siècle. », écrit Gary Paul Nabhan. (1)

L’achat de semences génétiquement modifiées, nécessitant des pesticides toxiques pour être cultivées, est à long terme plus coûteux pour l’agriculteur – et plus dangereux pour la sécurité alimentaire de la planète. 

Car il ne s’agit pas ici d’être « anti-progrès », mais d’expliquer l’impasse à laquelle conduit ce soi-disant progrès mêlant organismes génétiquement modifiés et herbicides toxiques (sans parler encore de l’appauvrissement et de l’empoisonnement des sols), au nom d’un profit foulant aux pieds toute idée d’héritage alimentaire à moyen et long terme. 

Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier

L’ouvrage Aux sources de notre nourriture l’illustre avec le cas de l’Éthiopie, l’un des plus anciens et plus riches foyers de biodiversité agricole : des agriculteurs de ce pays, comme tant d’autres, ont cédé aux sirènes de l’achat de semences hybrides, aux rendements plus volumineux et rapides, à grands renforts d’herbicides Lasso et Roundup : 

« rares étaient les paysans éthiopiens (…) qui puissent financer les coûts supplémentaires des semences hybrides et des herbicides, lesquels annulaient le revenu supplémentaire résultant d’un surplus modeste de rendements. (…) quand ils en viennent à comprendre qu’une variété à fort rendement pourrait leur coûter plus qu’elle ne vaut, ils ont déjà abandonné les semences éprouvées de leurs variétés locales (2)» 

La facture de cette gravissime érosion de la biodiversité agricole, nous la payons déjà en partie – c’est la perte hallucinante de qualité nutritive des céréales, fruits et légumes d’aujourd’hui – mais le prix le plus fort c’est surtout la plus grande fragilité, à terme, de ces cultures OGM et herbicidées. 

Car, nous enseigne l’expérience, la meilleure façon de lutter contre le stress climatique, les parasites et les maladies végétales, ça n’est pas de créer des espèces hybrides résistantes à court terme… car elles ne sont pas conçues pour résister à d’autres fléaux encore inconnus !… mais de maintenir une diversité de cultures aux propriétés variées

Pour le dire en un mot comme en cent : il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier !

Or, c’est ce qu’a fait depuis un demi-siècle la France, et la plupart des pays industrialisés, en éradiquant peu à peu la polyculture traditionnelle des parcelles au profit de monocultures souvent hybrides, massives et copieusement arrosées d’eau et de produits chimiques.

Tandis que, pour en terminer avec l’exemple éthiopien :

« Peut-être la stratégie le plus intéressante (…) fut-elle de planter dans un champ un mélange de variétés de plusieurs paysans dotées de tolérances physiologiques comme de réactions d’adaptation diverses. Dans presque toutes les parcelles où l’on a suivi ces mélanges au cours des ans, leurs rendements à long terme se sont avérés plus élevés et plus stables que ceux de toute variété uniques dite « à fort rendement ».(3)»

Cultiver en conditions de sécheresse : la leçon des Hopi et des Navajo 

Je n’ai pas pris l’exemple éthiopien au hasard : l’agriculture de ce pays est, depuis des millénaires, adaptée à de rudes conditions de sécheresse. 

Le livre en cite un autre : celui des Indiens d’Amérique Hopi qui, en plein désert, et au plus fort d’une sécheresse extrême dans les années 1930, continuaient à cultiver 2400 hectares, couvrant 99% de leurs propres besoins en maïs, et produisant même des melons, pastèques, courges, citrouilles, pêches, poires, pommes, raisins(4)… 

… et ce alors même que la pluviométrie, déjà faible, était réduite de 90% !

Ces Indiens Hopi, ainsi que les Navajo, prouvent qu’il est possible d’atteindre la quasi-autosuffisance alimentaire (à 90%) en ne recevant que 25 cm de pluie annuels :

« Ce qui protégea ces deux tribus de la famine pendant la sécheresse (…) fut une stratégie de subsistance mixte, fondée sur un éventail de culture adaptées à différents habitats agricoles. (5)»

Pourtant… ce n’est plus le cas aujourd’hui : en 1997, une nouvelle sécheresse a frappé le désert où vivent ces Indiens, « à ce moment précis les paysans des deux tribus ont découvert que la plupart de leurs sources éternelles (en eau) se tarissaient. (6) »

Pourquoi ?

Implantée vingt ans plus tôt, une compagnie de mine de charbon avait puisé jusqu’à 5 milliards de litres d’eau par an et épuisé les nappes phréatiques au-dessus desquelles vivaient ces Indiens, et dont ils se servaient pour leur agriculture. 

La sécheresse de 2022… et des années prochaines

Les conséquences de la sécheresse de 2022, quelles qu’elles soient, n’ont donc pas pour seule cause le réchauffement climatique. 

Elles sont, dans notre pays, le produit de décennies d’épuisement des nappes phréatiques, de gâchis de pratiques d’irrigation, de pollution des eaux de surface, de réduction hallucinante des terres agricoles, et du choix stratégique de monocultures intensives de variétés dans l’immense majorité des cas soit hybrides, soit arrosées d’herbicides toxiques.

Nous n’échapperons probablement guère, cette année, aux conséquences immédiates de ces choix et de la sécheresse – c’est-à-dire la raréfaction des récoltes et la hausse des prix, voire la pénurie de certains aliments.

Mais si au cours des prochaines années nous voulons réduire ces conséquences, et même éviter qu’elles ne s’aggravent – jusqu’à frôler la famine – il serait grand temps que nous amorcions plus franchement un virage dans nos pratiques agricoles.

Je doute que le nouveau ministre de l’agriculture d’Emmanuel Macron ou Janusz Wojciechowski, le commissaire européen à l’Agriculture et au Développement rural, chargé de la politique agricole commune, me lisent – mais je suis convaincu que ce changement commence à la fois dans nos jardinières et nos potagers, et dans notre chariot de courses.

On comprend de façon plus aiguë que jamais que le choix du bio et de la permaculture n’est pas seulement meilleur pour notre santé : il est vital pour notre subsistance alimentaire.

Pour nous préparer à la crise alimentaire, je fais plus confiance à ma belle-mère qu’au ministre de l’agriculture

Sans être une experte en agronomie, ma belle-mère (coucou Catherine !) atteint l’autosuffisance alimentaire en cultivant fruits et légumes dans son potager.

Actuellement, poussent fraises des bois, fraises, groseilles, cassis, framboises. 

Dans son petit jardin, qui est vraiment de taille modeste, elle cultive oignons rouges, blancs, jaunes – échalotes – persil, estragon, ciboulette, thym, laurier, mélisse, verveine, citron, oseille, épinards, laitues, artichauts, fenouil, rhubarbe, pommes de terre, haricots verts, courgettes, butternut, betterave, radis, tomates, céleri branche, concombre, mâche.

Elle m’écrit : « Je n’ai pas prévu cette année mais j’ai déjà fait pousser des fèves et des petits pois, poireaux. Je complèterai selon ce que je trouverai au gré de mes déambulations.  

« J’achète les graines chez BiauGerme (par correspondance) ou chez Botanic (près de la maison et pas mal de bio) mais ce que je préfère ce sont les trocs, les marchés aux plantes organisées pas les clubs de jardiniers et même de plus en plus dans les foires à tout ou les particuliers viennent vendre leurs plants et boutures. On fait de bonnes trouvailles et de bonnes affaires

« J’ai même repéré, sur « Le Bon Coin », quelqu’un qui vend plein de plants dans un village à côté. En ce moment j’ai une centaine de semis en godets qui vont être repiqués.  Et bien sûr plein de fleurs pour égayer tout ça ! Et ça m’amuse ! »

Voici une photo qu’elle m’envoie de son fenouil et de ses artichauts :


Pour ma part, je n’ai pas la chance d’avoir de jardin, mais je sais qu’en achetant mes fruits et légumes à un maraîcher bio, je réduis un peu les chances de mes enfants de souffrir de la faim dans un proche avenir.

Car la réponse aux épisodes de sécheresse présents et à venir n’est certainement pas dans le maintien de cultures intensives gourmandes en irrigation et dépendantes de semences brevetées et d’herbicides toxiques, mais dans les possibilités d’adaptation offertes par une polyculture résiliente et la biodiversité de semences… qui doivent redevenir et rester libres.

Cette variété est ce qui nous permettra de faire fructifier des cultures résistantes au changement climatique, sans épuiser ni les sols, ni les nappes phréatiques.

« Nous livrons une course contre la montre pour garantir que les variétés de semences, sur la planète, ne seront pas soufflées comme autant de cierges par un coup de vent », écrit Gary Paul Nabhan, l’auteur d’Aux sources de notre nourriture. (7)

C’est la condition essentielle pour maintenir notre droit, en tant qu’être humain, à disposer d’une nourriture convenable, nutritive, non-toxique et en quantité suffisante. 

Portez-vous bien, et bon dimanche

Rodolphe


Sources :

[1] Nabhan GP (2022). Aux sources de notre nourriture, p.32. Nevicata : Bruxelles. ISBN 978-2-87523154-3

[2] Ibid., p.127

[3] Ibid., p.128

[4] Ibid., p.151

[5] Ibid., p.152

[6] Ibid., p.155

[7] Ibid., p.20