Chers amis,

Je vous parlais dans l’une de mes lettres, il y a 2 mois, de « l’affaire Calestrémé ».

L’auteure des best-sellers de développement personnel Trouver ma place et La clé de votre énergie aurait répondu, sur le plateau d’une émission de France 2, à une femme atteinte d’endométriose et ayant vécu plusieurs fausses couches :

« Vous avez hérité de cette grand-mère ou arrière-grand-mère qui ont fait des enfants et qui ont perdu des enfants. L’endométriose, c’est un message de notre corps qui nous dit qu’avant, il y a eu une souffrance énorme d’une personne qui a associé le mot enfance et mort […]. Il y a une culpabilité, il y a une tristesse et on doit s’en libérer. »

A la suite de la diffusion de cet extrait, l’AAERS, un collectif pour la recherche scientifique autour de l’adénomyose et l’endométriose, avait réclamé et obtenu la déprogrammation de l’émission en argumentant : « Il n’y a aucune preuve scientifique que l’endométriose aurait une origine pareille. »

En un sens, c’est tout à fait vrai.

L’interprétation de Natacha Calestrémé est fondée sur son expérience personnelle et ses propres travaux d’investigation et n’est pas objectivable comme le veut aujourd’hui la méthode scientifique.

On peut choisir ou non d’y adhérer, mais rappelons que sa réponse – qui s’inscrit dans une longue tradition de psychothérapies explorant la cause émotionnelle des maladies — ne visait qu’à répondre au cas particulier de la femme qui l’interpelait.

En revanche, il est totalement faux de dire que l’origine transgénérationnelle des traumas n’est pas scientifiquement démontrée.

Des souris traumatisées jusqu’à la 6e génération

Cela a été démontré il y a déjà 10 ans par une branche neuve et très prometteuse (ouvrant notamment la voie à une médecine totalement « personnalisée ») de la génétique : l’épigénétique.

L’épigénétique, c’est simplement l’idée, contraire à ce que l’on pensait jusqu’au milieu des années 1990, que ce que l’on mange, l’air qu’on respire, ou les stress intenses que l’on éprouve, ont une influence sur nos gènes…

Au point de pouvoir modifier l’expression des gènes (sans pour autant modifier l’ADN lui-même), et de transmettre certains traits à notre descendance.

Une expérience d’épigénétique désormais célèbre, a été menée en 2013 par des chercheurs de l’École de médecine de l’Université Emory à Atlanta, en Géorgie[1].

Les chercheurs ont exposé des souris à l’odeur des fleurs de cerisier, tout en provoquant de légers chocs électriques.

Au fur et à mesure, les souris anticipaient la douleur du choc dès qu’elles sentaient l’odeur du cerisier et paniquaient, même s’il ne se passait rien.

Ensuite, les chercheurs ont testé leurs descendants.

Même à la 6e génération, l’odeur des fleurs de cerisier effrayait les souris… qui n’avaient jamais reçu de choc électrique de leur vie !

Elles avaient juste en elles la « mémoire génétique » du traumatisme.

Des « cicatrices » génétiques observées chez les survivants de l’Holocauste

Plus récemment, en 2015, l’équipe de la psychologue américaine Rachel Yehuda, spécialisée dans l’étude du stress traumatique, s’est penchée sur les changements épigénétiques à travers les générations chez les êtres humains.

Dans une étude retentissante comparant l’expression des gènes de 32 survivants de l’Holocauste et 22 de leurs enfants à ceux de témoins[2], ils ont constaté que, contrairement aux sujets témoins, les survivants de l’Holocauste et leurs enfants présentaient des changements au même emplacement du même gène.

Il s’agissait du gène FKBP5, dont on sait qu’il est lié au syndrome de stress post-traumatique et à la dépression.

Le mécanisme d’une telle transmission transgénérationnelle est encore mal compris, mais la preuve irréfutable et biologique de son existence est bien là.

Il pourrait être utile d’un point de vue de l’évolution, expliquent les chercheurs, car il nous permettrait de nous méfier des dangers et épreuves qu’ont déjà subies nos ancêtres.

Mais en contrepartie, nous héritons aussi de leurs craintes irrationnelles, des « chocs » qu’ils n’ont pas su absorber, et de leurs peurs passées qui n’ont plus lieu d’être dans le présent.

Le transgénérationnel : une piste sérieuse de guérison

Certes, il peut être frustrant, pour ne pas dire franchement décourageant, de considérer qu’en plus de tout ce qui nous est arrivé dans notre vie, nous porterions dans notre chair, tous les problèmes et traumatismes de notre famille.

Un grand-père qui a fait la guerre, une arrière-grand-mère qui a souffert de malnutrition, un oncle qui souffre d’addictions, un parent qui a souffert de violences physiques ou sexuelles…

La liste pourrait vite paraître infinie.

Et l’on comprend aisément pourquoi cette idée, pourtant aujourd’hui validée par la science, peine tant à être admise plus largement dans l’opinion publique.

Mais dans le même temps, c’est un espoir pour tous ceux qui souffrent d’une maladie ou d’un mal-être totalement inexpliqués, voire franchement incompréhensibles.

Car l’épigénétique affirme très clairement que ces changements de l’expression de nos gènes ne sont pas irréversibles.

Une fille de 6 ans guérie de sa bronchite

Il n’y a pas de « fatalité » génétique : ce que l’environnement et le vécu d’un ancêtre ont modifié dans la génétique, peut à nouveau être modifié par le vécu et l’attitude consciente d’un descendant.

Comme le montre Fabienne, qui écrivait en commentaire de ma lettre précédente, avoir justement guéri de son endométriose grâce à l’approche défendue par Natacha Calestrémé.

Ou comme le montre encore ce cas célèbre, rapporté par Salomon Sellam, médecin pionnier de la psychogénéalogie[3] : il aurait reçu un père et sa petite fille âgée de 6 ans, qui présentait des symptômes de bronchite asthmatiforme.

Au fil de la consultation, le père explique comment son propre père s’est suicidé au gaz lorsque lui-même avait 7 ans.

En racontant ce drame, le père est bouleversé, il se met à suer et à trembler.

Visiblement, il n’a pas fait son deuil et la fillette est l’héritière involontaire de cette histoire en souffrance.

Mais six mois plus tard, maintenant que le père a parlé et que le tabou est tombé, la fille de 6 ans parvient à arrêter les médicaments et à guérir complétement…

Comment savoir si l’on porte un trauma hérité de ses ancêtres ?

Ces traumatismes reçus en héritage se manifesteraient, selon les tenants de la « psychogénéalogie » théorisée dès les années 1970 par Anne Ancelin Schützenberger, de plusieurs façons, dont le point commun est toujours l’impossibilité l’expliquer par le seul prisme de sa vie personnelle :

  • Des crises d’angoisse, des troubles psychosomatiques sans explication ;
  • Des symptômes physiques qui surviennent « brusquement » dans votre vie ;
  • Des schémas qui se répètent sur plusieurs générations ;
  • Des comportements et des peurs incompréhensibles ;
  • Une vulnérabilité accrue au stress ;
  • De forts sentiments de honte, de culpabilité, d’autodestruction, de dévalorisation… ;

Ce sont là que quelques exemples qui peuvent laisser suspecter l’existence d’un trauma hérité et non résolu.

Alors que nous venons de traverser deux années et demies compliquées, violentes et traumatisantes, nous sommes en tout cas en droit de nous demander ce que nos enfants et nos petits-enfants ressentiront encore des traumas liés à cette période anxiogène au cours du siècle présent… et du siècle à venir !

Quelques pistes pour dénouer les traumas transgénérationnels

Si vous suspectez fortement d’être affecté par un trauma transgénérationnel, je vous recommande fortement de consulter un thérapeute formé à la psychogénéalogie.

Il s’agira alors souvent, au fil de plusieurs séances, d’explorer votre arbre généalogique, ainsi que tous les non-dits et secrets de famille de votre lignée.

Notez bien que même si vos parents ou grands-parents ne sont plus là et qu’il peut être impossible d’obtenir des réponses factuelles sur leurs antécédents, la thérapie est toujours possible.

Le thérapeute va chercher à analyser la dimension inconsciente de vos symptômes actuels et, par association d’idées, il est toujours possible de faire émerger des réminiscences.

Car au-delà de la vérité historique, ce qui importe, c’est que vous parveniez à trouver un sens personnel à votre histoire et à faire la paix avec vos héritages inconscients.

Mais il n’est pas toujours nécessaire de faire votre arbre généalogique.

Alejandro Jodorowsky, le célèbre cinéaste, dessinateur, poète et artiste « touche-à-tout » chilien a par exemple mis au point une autre méthode thérapeutique, qu’il a baptisé « psychomagie ».

Cet « art de guérir » qu’il a tiré de sa riche expérience du théâtre propose, par l’exécution d’un rituel simple et personnalisé, qui « résonne en vous », de symboliser le « dénouement » d’une blessure familiale.

Ces rituels visent à travailler sur la mémoire, sur les personnages de votre lignée intériorisés en vous (et non directement dans une confrontation aux aïeux) et peuvent tout à fait s’effectuer seul, en enterrant un objet, en écrivant une lettre, par exemple.

La seule condition, explique Jodorowsky, est toujours de clore le rituel de façon positive : « J’ai souvent recommandé d’enterrer des objets, des vêtements, des photographies pour se libérer de vieilles souffrances, mais j’ai toujours demandé qu’à l’endroit où l’on a déposé ces choses « impures » on plante un arbre ou un arbuste fleuri. »

Si vous êtes curieux de cette approche, vous pouvez vous procurer son Manuel de psychomagie, aux éditions J’ai lu[4]

Vous pouvez enfin commencer le travail par vous-même en vous demandant simplement :

  • Quelles sont les vulnérabilités particulières de votre famille ?
  • Les conflits récurrents ?
  • Les maladies particulièrement fréquentes ?
  • Avez-vous de lourdes difficultés sur le plan existentiel, plus difficiles à surmonter pour vous que pour d’autres et qui vous paraissent inexplicables par votre seul vécu à vous ?
  • Vous sentez-vous particulièrement vulnérable au stress ? Êtes-vous sujet à l’hyperactivité, une tendance anxieuse, une hypervigilance ou encore une tendance dépressive ?

Le simple fait de prendre conscience et d’intégrer ce qui nous lie à nos ancêtres, même les parts d’ombre, peut nous aider à guérir.

Goethe disait : « Ce que tu as hérité de tes aïeux, acquiers-le pour le posséder. »

Autrement dit, pour ne pas être possédé par notre héritage inconscient, il faut le débusquer et s’approprier l’histoire de sa lignée.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

[1] Joël Ignasse, « La mémoire du danger transmise à la descendance chez les souris », Sciences et Avenir, 3 décembre 2013, https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/biologie-cellulaire/la-memoire-du-danger-transmise-a-la-descendance-chez-les-souris_26649

[2] Yehuda, R., Kahana, B., Schmeidler, J., Southwick, S. M., Wilson, S., & Giller, E. L. (1995), « Impact of cumulative lifetime trauma and recent stress on current posttraumatic stress disorder symptoms in Holocaust survivors», The American Journal of Psychiatry, 152(12), 1815–1818. https://doi.org/10.1176/ajp.152.12.1815

[3] Marie-Pierre Genecand, « Pour en finir avec les traumas du passé », Le Temps, 27 novembre 2018, https://www.letemps.ch/societe/finir-traumas-passe

[4] Alexandro Jodorowsky, Manuel de psychomagie : Vers le chemin de la guérison, éditeur J’ai Lu, septembre 2017, 7,60€