Chers amis,

Je ne vis pas à Paris, et je n’y ai jamais vécu.

Étudiant, je m’y rendais fréquemment, aimant flâner le long de la Seine et dans les librairies.

J’aimais l’animation de la capitale… même si au bout de quelques jours (voire quelques heures) je me rendais compte que j’étais plus stressé.

Aujourd’hui encore, je trouve dans les très beaux parcs de Paris de petits havres me permettant de reprendre mon souffle (et mon calme) : il y a, évidemment, les magnifiques jardins des plantes, des Tuileries et du Luxembourg…

… Mais aussi certains parcs, qui abritent une belle diversité d’oiseaux :

  • dans celui des Buttes-Chaumont, outre les incontournables mouettes, canards et cygnes, vous pouvez observer en cette saison la bergeronnette des ruisseaux (reconnaissable à son plumage jaune et gris) ;
  • au parc Monceau, vous trouverez des mésanges nonettes et des geais des chênes;
  • le parc Montsouris, lui, héberge des sittelles torchepot, des mésanges huppées, des pics-verts, des fauvettes à tête noire, et même des éperviers[1]!… ;
  • etc.
Mésange huppée

Cette avifaune (population d’oiseaux) est fragile.

Et sa préservation est plus étroitement liée à notre santé qu’on ne le croit.

La bande-son de la sylvothérapie

Il y a quatre ans et demi (déjà !) je vous parlais des bienfaits sur la santé des « bains de forêt »[2].

Particulièrement étudiée au Japon, où on l’appelle Shinrin Yoku, la sylvothérapie (littéralement : le soin par les arbres) a notamment des bienfaits :

  • contre le stress ;
  • pour la santé cardiovasculaire ;
  • sur les systèmes immunitaire et nerveux.

Plus de vingt études démontrent ainsi que notre état psychique et notre état physiologique sont meilleurs en forêt qu’en ville… tous marqueurs confondus.

C’est ce qui rend les espaces verts des villes dont j’ai parlé si importants : ils constituent une bulle dans laquelle se réfugier, se ressourcer.

Plus ces espaces verts sont « généreux », riches en arbres et en faune, meilleurs sont leurs bienfaits.

Mais, qu’il s’agisse d’espaces verts urbains ou de forêts giboyeuses, ces bienfaits ne dépendent pas uniquement des arbres.

L’effet sur notre organisme de ces espaces naturels est lié à nos cinq sens :

  • la vue de ce foisonnement d’arbres, de plantes ; la surprise d’apercevoir un écureuil sautant de branche en branche, l’émotion provoquée par la rencontre d’une biche ;
  • le contact de notre main avec l’écorce d’un arbre, et pourquoi pas celui de nos pieds nus sur l’herbe, sur l’humus de la terre ;
  • le parfum des différentes essences d’arbres, particulièrement entêtantes au printemps, l’odeur des sous-bois l’automne… ;
  • le goût, également, des fruits sauvages que nous pouvons cueillir : mûres le long des chemins, fraises dans les bois… ;
  • et la « musique » de la nature évidemment ; l’ambiance sonore dans laquelle une promenade en forêt, ou sur une plage déserte, nous plonge.

Cette dimension « sonore » de la nature commence à faire l’objet d’études.

En avril 2021, des chercheurs canadiens ont ainsi publié dans la revue scientifique PNAS les résultats d’une étude originale.

Ces chercheurs ont en effet voulu mesurer l’influence sur la santé d’un environnement acoustique naturel.

Ils ont ainsi pu déterminer qu’être entouré de sons de la nature apportait une amélioration, tenez-vous bien, de 184% de la santé générale !

Plus spécifiquement, le stress était réduit de 28% chez les participants, et les chercheurs ont également noté l’amélioration de marqueurs comme le rythme cardiaque, la tension artérielle, la douleur ressentie mais également l’humeur ou les performances cognitives[3].

Quels sons de la nature sont les « meilleurs » pour la santé ?

Pour mener leur étude, les chercheurs ont travaillé avec des enregistrements de « bandes-son » de 68 parcs nationaux américains qu’ils ont diffusé en laboratoire ou en milieu hospitalier.

La diversité de ces bandes sonores leur a permis d’identifier le type de sons naturels qui ont le plus d’effets sur l’organisme.

Il y en a deux : le bruit de l’eau qui coule (rivière, cascade, etc.) et surtout le chant des oiseaux.

Autrement dit, en milieu naturel, du point de vue de l’ouïe, c’est le concert des oiseaux qui agirait le plus positivement sur la santé humaine.

Le chant des oiseaux qui s’éteint, c’est la nature qui se tait…

À peine six mois après cette étude canadienne qui démontrait le retentissement du chant des oiseaux sur notre santé, une autre étude, britannique cette fois, alerte sur l’extinction progressive de ces chants.

Publié le 2 novembre 2021 dans Nature[4], cet article fait le point sur un quart de siècle d’étude de l’avifaune sur les continents européen et nord-américain.

Le bilan est sombre : en 25 ans, non seulement les populations d’oiseaux ont diminué, mais la diversité des espèces s’est amoindrie.

Cela se mesure très concrètement par des enregistrements sonores, sur toutes ces années, captés sur quelque 200 000 sites :

  • le volume sonore du chant des oiseaux baisse inexorablement ;
  • ces chants sont de plus en plus pauvres.

Que faut-il entendre par « pauvre » ?

Chaque espèce d’oiseau a un type de chant bien à lui, vous le savez. Un rythme, un ton… bref, il est comparable à un instrument.

Eh bien, imaginez une symphonie dont le nombre d’instruments se réduirait petit à petit.

Au début du concert, vous avez parmi les instruments à corde une contrebasse, deux violoncelles, plusieurs violons.

Puis, au cours du concert, la contrebasse disparaît, puis un violoncelle, et un autre, et parallèlement plusieurs violons… et à la fin, il ne vous reste plus que quelques violons.

La musique n’est plus la même. Elle est plus monotone, elle a moins de relief.

Chaque espèce d’oiseaux qui disparaît d’un site « appauvrit » de la même façon le paysage sonore : le concert de la nature est moins riche, moins varié et plus faible.

C’est la nature qui se tait, littéralement.

… et c’est notre santé qui se dégrade un peu plus

La richesse et l’intensité des chants d’oiseaux étant, on le sait maintenant, liées non seulement à notre santé mentale mais également à notre équilibre nerveux, immunitaire et cardiovasculaire, c’est donc bel et bien nous qui pâtissons in fine de cette dégradation.

L’un des livres fondateurs de l’écologie moderne date de 1962.

Écrit par la biologiste américaine Rachel Carson, il s’intitule Printemps silencieux[5] et alertait déjà, à l’époque, sur les conséquences dévastatrices de la pollution de l’environnement, et notamment de l’emploi des pesticides, sur les populations d’oiseaux.

Le tableau que dressait Rachel Carson était terrifiant.

C’est aujourd’hui bien pire.

Car à la pollution des pesticides s’ajoute :

  • la pollution des automobiles et des usines qui tue les insectes dont ils se nourrissent ;
  • la pollution lumineuse qui trouble leur comportement ;
  • la pollution sonore qui nuit à leur communication (et à leur reproduction).

Cela est palpable dans les villes, où l’on n’entend presque plus les oiseaux chanter, mais concerne aussi nos campagnes.

Nous assistons à la désertion progressive d’espèces agricoles traditionnelles comme l’alouette des champs au profit, par exemple, de pigeons.

La destruction de leurs habitats et le bouleversement de leur écosystème les tue, peu à peu – tout comme les abeilles et de nombreuses autres espèces, animales comme végétales.

La disparition du chant des oiseaux, c’est à la fois un désastre écologique, une perte supplémentaire de la poésie du quotidien et une dégradation supplémentaire de notre qualité de vie et de santé.

Tout est lié.

Que faire ? À titre individuel nous ne pouvons qu’avoir un rôle d’observateur vigilant. Vous le savez peut-être, l’association « Oiseaux des jardins » recrute des volontaires pour compter les oiseaux dans un espace délimité afin d’observer l’évolution des populations aviaires[6].

Portez-vous bien… et lorsque vous profitez du chant des oiseaux, songez que c’est un plaisir simple que vos enfants et petits-enfants ne connaîtront peut-être plus beaucoup d’ici vingt ans.

Rodolphe Bacquet


Sources :

[1] Muller S (29.05.2020). Arbres et oiseaux : balade au parc Montsouris, ce point chaud de la biodiversité parisienne. The Conversation. https://theconversation.com/arbres-et-oiseaux-balade-au-parc-montsouris-ce-point-chaud-de-la-biodiversite-parisienne-139329

[2] https://alternatif-bien-etre.com/solutions-venues-d-ailleurs/la-sylvotherapie-double-laction-du-systeme-immunitaire-et-fait-chuter-lhypertension/

[3] Buxton R T, Pearson A L, Allou C, et al. (2021). A synthesis of health benefits of natural sounds and their distribution in national parks. Proceedings of the National Academy of Sciences 118 (14) e2013097118; DOI: 10.1073/pnas.2013097118 https://www.pnas.org/content/118/14/e2013097118/tab-article-info

[4] Morrison, C.A., Auniņš, A., Benkő, Z. et al. (2021). Bird population declines and species turnover are changing the acoustic properties of spring soundscapes. Nat Commun 12, 6217. https://doi.org/10.1038/s41467-021-26488-1  

[5] Carson R (1962). Printemps silencieux. Wildproject Editions, Paris. EAN : 9782918490999.

[6] https://www.oiseauxdesjardins.fr/index.php?m_id=1127&item=18