Chers amis,

Je ne sais qui, le premier, a décrété que la curiosité était un vilain défaut, mais si elle l’était réellement je suis intimement persuadé que je ne serais pas là à vous écrire, ni vous à me lire.

Cet adage populaire ne trouve de justification que dans l’expression la plus négative de la curiosité, c’est-à-dire l’indiscrétion, le vol et le viol de l’intimité d’autrui, ce que l’on appelle par ailleurs : la curiosité mal placée.

Or par nature la curiosité est plutôt bien placée.

Sans elle nos ancêtres ne seraient pas allés voir ce qu’il y a de l’autre côté de la rivière, ni si l’herbe est plus verte derrière la colline.

Ils n’auraient pas fait le tri entre les champignons comestibles ou non, ni planté des graines sauvages en terre pour voir ce qui en pousserait.

Sans la curiosité, pas de Christophe Colomb obsédé par la découverte d’une nouvelle route des Indes, pas de frères Lumière s’efforçant d’animer des photographies, pas de Neil Armstrong laissant de trace sur la lune.

Sans la curiosité, votre oncle Robert n’aurait pas réussi à enfin déboucher l’évier, vous n’auriez pas lu tel livre qui compte aujourd’hui tant pour vous, et surtout vous n’auriez pas la première fois adressé la parole à l’homme ou à la femme de votre vie.

La curiosité fait non seulement avancer bon an mal an l’humanité, mais aussi tout simplement notre vie.

Et il n’est d’ailleurs pas hasardeux que, lorsque la curiosité s’émousse, l’étincelle de la vie elle-même s’éteint.

Au commencement était la question

La curiosité s’exprime chez chacun de nous avec plus ou moins d’intensité.

Elle provoque un curieux mélange d’excitation et de peur, et c’est la balance entre ces deux émotions qui nous mène à l’assouvir ou non.

La curiosité est intime et discrète chez les uns.

Chez d’autres, elle est une vocation : ce sont les chercheurs, les découvreurs, les inventeurs…

Mais, chez les grands scientifiques comme chez l’écolier, elle se manifeste, au commencement, toujours de la même façon : par une question.

Si vous avez des enfants, vous avez forcément vécu, tour à tour avec tendresse et agacement, ce moment où, à partir de deux ou trois ans, ils commencent à poser question sur question, sur tout.

« Pourquoi Papy il a plus de cheveux ? »

« Pourquoi on dort la nuit ? »

« Pourquoi tu vas travailler ? »

Ce sont des « pourquoi » à n’en plus finir, chaque réponse obtenue vous donnant le droit à une nouvelle question !

Exemple récent de ma petite dernière, trois ans et demi au compteur : « Maman, pourquoi les limaces elles ont pas de coquille ? Pourquoi elles sortent que quand il pleut ? Elles sont où quand il pleut pas ? Pourquoi les lézards ils aiment pas la pluie ? »

La question, pour le petit enfant, traduit son éveil au monde, la volonté de déchiffrer et défricher son environnement.

Ses questions, c’est la curiosité à l’état pur ; une curiosité nécessaire, par laquelle nos petits refont tout le chemin que nous avons fait avant eux, et nos aïeux avant nous.

Et tout comme ils ont besoin de nos mains pour faire leurs tout premiers pas sans tomber, ils ont besoin de nos réponses à leurs questions pour avancer dans la découverte et la compréhension de l’univers.

J’allais vous écrire qu’il n’y a rien de plus triste et inquiétant qu’un enfant qui ne pose plus de questions, mais en réalité cela vaut aussi pour les adultes.

Le déclin cognitif commence avec le déclin de la curiosité

Bien sûr, il est normal qu’en grandissant nous posions moins de questions. Si nous gardions tous à l’âge adulte le même débit de questions qu’à trois ans je pense que la crise de nerfs serait la principale cause de consultation aux urgences !

Avec le temps, non seulement notre curiosité primordiale est assouvie, mais surtout cette curiosité s’affine, voire se spécialise.

Certains veulent comprendre comment le cœur parvient à irriguer de sang l’ensemble du corps humain, et feront des études de médecine.

D’autres, comment on dit « brouette » en albanais ou en swahili, et feront des études de langues.

(Et ceux qui ne veulent rien savoir, chose admirable, atteignent également leur objectif.)

Cependant cette curiosité, si elle décline naturellement avec l’âge, peut se cultiver.

Non seulement elle peut être amusante et ludique, mais elle est l’un des principaux facteurs de longévité en bonne santé que l’on connaisse !

En 2018 des chercheurs japonais postulaient que la curiosité joue un rôle important non seulement dans le maintien de la fonction cognitive et de la santé mentale des séniors, mais aussi dans leur santé physique[1] !

L’année suivante, d’autres chercheurs démontraient que la curiosité, et plus exactement le goût de l’exploration, avait en réalité un bienfait encore supérieur au seul maintien de la fonction cognitive : elle améliore la cognition en créant de nouveaux neurones

C’est une découverte très importante car l’on croyait jusqu’ici que l’on vivait toute sa vie durant avec un « capital » de neurones acquis durant la croissance ; capital que l’on était condamné à voir s’étioler inexorablement en vieillissant.

Mais ce n’est pas le cas : la création de neurones – ce qu’on appelle la neurogenèse – est actuellement prouvée jusqu’à 97 ans, et je ne serais pas surpris qu’elle soit présente chez certains centenaires également !

Je vous racontais déjà tout cela dans une lettre de décembre 2019 que vous pouvez retrouver dans le lien en source[2].

Vous pouvez ainsi, oui oui !, avoir à 75 ans un cerveau plus jeune qu’à 45 ans ; la seule condition à cela, c’est de cultiver votre curiosité.

Et la façon la plus simple de commencer, c’est de revenir à la base : la question.

Quelle est la question ?

En 2010, à l’occasion du 350ème anniversaire de la Royal Society – la principale académie scientifique indépendante d’Angleterre – le journal The Guardian a demandé à plusieurs chercheurs de premier plan quelles énigmes ils aimeraient voir résolues[3].

Voici quelques-unes de leurs réponses… c’est-à-dire de leurs questions :

  • Qu’est-ce que la conscience ?
  • Que s’est-il passé avant le big bang ?
  • La science et l’ingénierie nous rendront-elles notre individualité ?
  • Comment allons-nous faire face à la croissance démographique mondiale ?
  • Comment assurer la survie et l’épanouissement de l’humanité ?
  • L’humanité peut-elle atteindre les étoiles ?

Comme vous pouvez le voir, certaines questions portent sur le passé (le big bang), beaucoup sur l’avenir de l’humanité, quand d’autres sont presque philosophiques.

Mais il y a une chose d’évidente : c’est que l’espoir d’obtenir un jour une réponse à cette question permet à celui qui se la pose de continuer à chercher, avec humilité mais aussi pugnacité ; bref, d’avancer.

Et c’est l’exercice auquel j’aimerais vous inviter : à quelle question importante pour vous aimeriez-vous trouver une réponse ?

Quelle question, oubliée ou nouvelle, réveille votre curiosité ?

On dit souvent que poser une question, c’est déjà y répondre.

Ça je ne sais pas, mais poser une question et chercher la réponse me paraît une belle raison de vivre.

Je vous demande, donc, à vous : quelle est votre question ?

Écrivez-la en commentaire à cette lettre. Je ne prétends pas pouvoir y répondre, mais, qui sait, peut-être qu’un lecteur ou une lectrice pourra vous y aider.

Portez-vous bien,

Rodolphe

[1] Sakaki M, Yagi A, Murayama K (2018). Curiosity in old age: A possible key to achieving adaptive aging. Neurosci Biobehav Rev. 88 : 106-116. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29545165/

[2] https://alternatif-bien-etre.com/maladies/alzheimer/alzheimer-et-le-voyage/

[3] Rees M (with interviews by Alok Jha and John Grace). (30.11.2010). Ten questions science must answer. The Guardian. https://www.theguardian.com/science/2010/nov/30/10-big-questions-science-must-answer