Chers amis,

Depuis quelques jours, les approches de santé « alternatives » font l’objet d’une étrange offensive de la part de la presse généraliste de kiosque.

Mi-août, le magazine L’Express a fait sa Une sur « le lobby des médecines douces »[1] : 

Le 22 août, Le Monde titrait une enquête à charge « Le Yoga, nouvelle porte d’entrée aux dérives complotistes et sectaires »[2]. 

Le surlendemain, Le Figaro lui emboîtait le pas en dénonçant « La Naturopathie, une foire aux gourous en plein essor ».[3]

Je vais revenir sur chacune de ces trois attaques, dont la concomitance est tout sauf hasardeuse.

La santé naturelle, nouvelle Franc-maçonnerie 

La santé naturelle est en train de devenir un marronnier pour le magazine L’Express, exactement au même titre que les loges maçonniques.

La couverture de leur numéro daté du 12 au 19 août 2021, que j’ai partagé avec vous un peu plus haut, fait ainsi directement écho à celle de leur numéro… daté du 13 au 19 août 2020, soit exactement un an plus tôt :

 À part le prix, qui est passé de 4,90 euros à 5,90 euros, les deux couvertures sont conçues de façon identique : un dessin conjuguant des « symboles » des médecines douces (un flacon « Détox », des aiguilles d’acupuncture et un pendule en 2020) les représente de façon légèrement inquiétante, et en les mettant dans le même sac. 

Je vous fiche mon billet qu’on retrouvera une couverture équivalente l’an prochain.

J’imagine la torpeur qui envahit la salle de conférence de rédaction de L’Express au début de l’été : « Oh la vache ! Qu’est-ce qu’on fait pour le numéro du 15 août ?! T’as une idée ?

  • Ah non, en plus moi je serai à Palavas-les-Flots !
  • Bon les mecs il nous faut un truc facile à sortir et qui fasse un peu sensationnel, des idées ?
  • Heu… La conspiration des méduses ? Comment elles se multiplient et gâchent notre été ?
  • Ça fait flipper mais c’est pas assez vendeur. Brigitte ?
  • Le Burkini ? Comment le voile envahit les plages et gâche nos vacances ?
  • C’est trop 2016.
  • Je sais ! Les médecines douces !
  • Les quoi?
  • Les médecines douces ! Tu sais, comme l’homéopathie, la naturopathie, l’aspirine…
  • Ah non, pas l’aspirine, ça marche, c’est scientifique. Mais ton idée est géniale, on va boucler ça en trois heures ; Jean-Christophe, tu nous trouves une homéopathe repentie, et surtout tu n’oublies pas de sortir des chiffres qui vont scandaliser les gens.
  • Ça marche ! »

J’ai lu le dossier de l’Express et je suis sûr que je ne suis pas très loin de la vérité.

Ainsi, les « médecines douces », quelles qu’elles soient, sont présentées comme des pseudo-sciences, terme facile et fourre-tout, puisqu’il permet de mettre dans le même sac l’homéopathie, la médecine anthroposophique, la méditation, l’acupuncture et bien d’autres.

Ces pseudo-sciences sont, d’après les journalistes de l’Express, des dangers publics – la médecin homéopathe repentie, qui vient d’Allemagne, déclare ainsi « La croyance en l’homéopathie est le premier pas vers l’irrationnalité ».   

Vous saisissez l’idée phare : médecines douces = pseudo-sciences = croyance = idiotie. 

Le yoga, ce nouveau sectarisme 

L’article à charge du Monde consacré au yoga ne fait pas davantage dans la dentelle.

La journaliste y fustige :

  • les ateliers autour du « féminin sacré », des groupes de parole et de méditations pour les femmes ;
  • le développement de « l’immunité naturelle » ;
  • la sectarisation autour de concepts comme la « conspiritualité », c’est-à-dire le mélange du complotisme et de la spiritualité.

À lire cet article, on s’attendrait à ce que celles et ceux qui pratiquent le yoga sont des faibles d’esprit à deux doigts de procéder à un suicide collectif façon Raël.

Les naturopathes, gourous et assassins

Partant du décès d’une participante à un stage de jeûne hydrique, Le Figaro n’hésite pas davantage à tout confondre : défiance envers la crise sanitaire, dérives sectaires supposées et profits supposés maximaux des naturopathes.

Les naturopathes y sont dépeints non seulement comme des charlatans, dépositaires d’un savoir fictif, mais également comme des escrocs et des assassins n’hésitant pas à priver de nourriture de pauvres victimes à seule fin de leur soutirer des milliers d’euros.

Les garagistes ne sont pas tous des escrocs

Tous ces articles à charge s’appuient sur des cas isolés qu’ils amplifient grossièrement, afin de remettre en question la légitimité de la pratique dont ils se réclament. 

Ils s’appuient, également, sur des remontées effectuées auprès de la Miviludes, l’organisme en France chargé de prévenir et réprimer les dérives sectaires. 

Mais ces accidents, comme celui que raconte Le Figaro, sont-ils légion ?

Non, ils sont l’exception.

Si, en récupérant votre voiture chez le garagiste, vous constatez que celui-ci vous fait payer 900 euros le remplacement d’une pièce « indispensable » qui en réalité coûte 10 euros, cela signifie-t-il que le corps de métier des garagistes est intégralement composé d’escrocs ?

Non, sans doute pas. 

C’est pourtant ce que font sans vergogne les auteurs de ces articles pour L’Express, Le Monde et Le Figaro : ils tirent des généralités de cas isolés ; des conclusions qui ne sont soutenues par aucune statistique sérieuse. 

Y’a-t-il des abus de l’ordre du harcèlement dans le cadre des séances de yoga, comme le dit Le Monde ?

Oui, sans doute, comme au bureau, comme dans la rue… et dans le même temps je connais des dizaines de personnes qui pratiquent le yoga qui n’ont qu’à se féliciter de l’esprit de respect et de concentration qui président à leurs séances.

Est-il dangereux de suivre une cure de jeûne sans suivi médical ?

Évidemment !!! c’est pour cela qu’il ne faut pas effectuer ces cures à la légère : il faut s’y préparer longtemps à l’avance, être en effet suivi par des professionnels de santé et surtout encadré par du personnel compétent. Ça ne s’improvise pas.

Faire les gros titres sur les « gourous » et les « dérives sectaires » de ces pratiques est donc de la malhonnêteté intellectuelle : c’est présenter volontairement les choses sous un angle spécifiquement négatif, tout en ignorant les bienfaits que ces pratiques ont apporté, et continuent d’apporter, à celles et ceux qui y recourent. 

Mais à quoi bon tout cela ?

Le « lobby » des médecines douces pèse bien peu 

L’Express tente grossièrement d’appâter et scandaliser son lecteur en parlant de « lobby » des médecines douces.

Il dresse ainsi un « classement de la perméabilité des universités aux pseudosciences » qui est censé inquiéter… et qui moi me rassure, car il démontre que la médecine intégrative, c’est-à-dire une approche de la santé qui combine solutions allopathiques et naturelles, progresse en France.

Mais c’est la source de ce tableau qui nous renseigne le plus : il s’agit du collectif Fakemed, composé de médecins qui en 2018 avaient signé dans Le Figaro une tribune dénonçant l’essor d’une médecine « non-basée sur des preuves scientifiques ».

Or, comme le souligne… un autre collectif, baptisé lui SafeMed… Fakemed « combat avec acharnement les thérapies alternatives, comme l’homéopathie, et rejette toute connaissance qui ne sort pas du moule de la médecine officielle. Et ce, au mépris d’une règle fondamentale de la déontologie de leur métier : ne juger une approche que par ses bénéfices sur le patient.[4] »

C’est en effet à FakeMed que l’on doit en partie le déremboursement de l’homéopathie en France.

La rhétorique de ce collectif, comme de L’Express et du Figaro, est de dire que les médecines douces comme l’homéopathie ou la naturopathie sont un business juteux, en laissant entendre qu’elles permettent des bénéfices record sur le dos des pauvres gogos qui s’y laissent berner.

Cet argument pécunier me laisse sans voix.

Prenons le plus gros acteur de l’homéopathie, les laboratoires Boiron – mis d’ailleurs en difficulté depuis le déremboursement : résultat net de 26 millions d’euros pour l’année 2020[5].

Cela paraît considérable. 

Mais, pardonnez-moi, qu’est-ce par rapport aux 9 milliards d’euros de Sanofi, le géant des vaccins, pour le seul premier trimestre 2021 ? 

Qu’est-ce par rapport aux 12,41 milliards de chiffre d’affaires de Novartis… sur trois mois ? Un résultat attribué aux ventes de thérapies géniques, de médicaments pour le cœur et d’anti-inflammatoires[6]. 

De qui se moque-t-on ? 

Comment osez-vous, mesdames et messieurs les journalistes de L’Express, parler de « lobby » des médecines douces au sujet d’approches médicales qui s’appuient pour l’écrasante majorité sur des produits naturels et sur des molécules non brevetables ?

Comment osez-vous parler de « lobby » à propos d’une approche de la santé qui est l’objet d’attaques permanentes et puissantes de la part des grands groupes de l’industrie pharmaceutique, qui visent à la marginaliser de plus en plus ??

Qui parle au gouvernement pour défendre l’homéopathie ou la naturopathie ??

Votre « lobby » est imaginaire et vos attaques dignes d’un tir sur une ambulance. 

Alors pourquoi ?

Une polarisation de plus en plus forte de la société

Je suis navré d’avoir à l’écrire, mais ces articles participent d’une polarisation criminelle de notre société à l’égard des approches de la santé.

Les amalgames sont particulièrement clairs dans l’article du Monde : 

« La méfiance envers les recommandations des autorités sanitaires traverse de nombreux mouvements de yoga et organismes tournés vers le bien-être et les pratiques alternatives de santé. En pleine crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, certains yogis défendent l’efficacité de l’immunité naturelle, entretenue et dopée par le yoga, et s’opposent au masque, aux vaccins ou au passe sanitaire. »

Dans la logique de cet article, être contre le pass sanitaire, c’est donc être faible d’esprit, arriéré, et quasi-faire partie d’une secte.

C’est non seulement être coupable d’une approche non-scientifique de la santé, mais également antisociale !

Ces articles écrits dans des journaux à grand tirage, détenus par des milliardaires (L’Express appartient à Patrick Drahi, l’une des plus grandes fortunes de la planète) et grassement subventionnés par les subsides de l’état ne font donc qu’une seule chose, qui n’a rien à voir avec du journalisme : ils jettent le discrédit sur des méthodes de santé qui aident, au quotidien, des milliers de patients… mais rognent sur les marges des grands groupes pharmaceutiques.

Ils entretiennent une vision sociale et sanitaire de notre époque en accord avec le gouvernement, c’est évident, mais en diabolisant les visions alternatives.

Cette approche est, je l’ai dit dans d’autres lettres, très franco-françaises. Je publierai très prochainement dans la revue Alternatif Bien-Être un entretien avec la directrice d’un institut hospitalier suisse où la médecine intégrative commence à se généraliser, comme en Allemagne.

Cette vision des « médecines douces » opposées par principe à la médecine conventionnelle n’est pas seulement absurde et bornée : elle est politique.

Mon conseil, à cet égard, est de rester – quelle que soit l’approche thérapeutique que vous choisissiez – libre de choisir et conscient des implications de votre choix.

Portez-vous bien, 

Rodolphe Bacquet


[1] Benz S, & Mahler, T. (10.08.2021). Politique, hôpital, facultés… L’offensive des médecines douces, propice aux pseudosciences. L’Express. https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/politique-hopital-facultes-l-offensive-des-medecines-douces-propice-aux-pseudosciences_2156294.html

[2] Damgé, M. (22.08.2021). Le yoga, nouvelle porte d’entrée aux dérives complotistes et sectaires. Le Monde. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/08/22/le-yoga-nouvelle-porte-d-entree-aux-derives-complotistes-et-sectaires_6092024_4355770.html

[3] Sugy, P. (25.08.2021). La naturopathie, une foire aux gourous en plein essor. Le Figaro. https://www.lefigaro.fr/actualite-france/la-naturopathie-une-foire-aux-gourous-en-plein-essor-20210824

[4] https://safe-med.fr/2020/08/26/le-collectif-fakemed-et-leur-vision-de-la-science/?cn-reloaded=1

[5] Capital (10.03.2021). BOIRON s’attend à une baisse significative de son chiffre d’affaires en 2021. https://www.capital.fr/entreprises-marches/boiron-sattend-a-une-baisse-significative-de-son-chiffre-daffaires-en-2021-1396532

[6] Le Temps (27.04.2021). Entaché par Sandoz, Novartis réalise un 1er partiel honorable.  https://www.letemps.ch/economie/entache-sandoz-novartis-realise-un-1er-partiel-honorable