Chers amis,

Vous avez déjà assisté à cette scène, et peut-être y assistez-vous chaque week-end, voire plusieurs fois par semaine :

En ville, à la campagne, tôt le matin ou tard le soir, vous croisez ces silhouettes haletantes, transpirantes, casquées d’écouteurs, foulant le bitume comme si leur vie en dépendait.

Certaines d’entre elles empruntent des chemins dévolus aux promeneurs et semblent exaspérées de vous trouver sur leur trajectoire, comme si vous aviez eu l’outrecuidance de faire la tortue sur une piste de course !

Alors que ce sont elles qui, pressées d’aller nulle part, poussent sur le côté les badauds qui souhaitent simplement flâner sur les sentiers prévus à cet effet !

Ces dernières années, par chez moi, ces silhouettes se font de plus en plus nombreuses. Y compris en pleine journée et en pleine canicule, ce qui va à l’encontre du bon sens même.

Et pour cause : courir, non seulement c’est « tendance », mais c’est « sain ».

Enfin, ça, c’est ce que la plupart des coureurs croient

Courir, c’est tendance…

Courir, c’est « tendance » : en particulier depuis le Covid, période durant laquelle faire de l’exercice physique dehors était effectivement l’un des « motifs » justifiant la possibilité de sortir de chez soi (vous rappelez-vous de ces ubuesques auto-attestations de sortie pendant le confinement, chef d’œuvre de la culture française de l’administration ?).

Aussi tout le merchandising associé à cette pratique a-t-il explosé ces dernières années, car courir – l’une des actions les plus naturelles du corps humain – ne suffit pas : il faut ressembler à un coureur, c’est-à-dire arborer des « chaussures de running » (parfaitement contre-productives d’ailleurs car elles ne permettent pas au pied d’épouser naturellement le sol et ne réduisent pas les blessures[1]), un cuissard, un bandeau, un brassard porte-téléphone, des airpods diffusant une musique survoltée…

Le coureur lambda se double souvent, il faut le reconnaître, d’un pigeon.

« Tendance », donc, oui ; mais « sain »… pas du tout.

Non seulement la pratique régulière de la course à pied s’apparente, vous allez le voir, à une addiction comparable à celle au cannabis, mais elle augmente l’incidence de certains cancers très précis.

Les désastres très documentés d’une pratique excessive de la course à pied

Ce n’est pas la première lettre que je consacre à la course à pied, je le confesse.

Dans la première, que j’ai écrite il y a 6 ans déjà, je pointais les dommages irréparables dont souffrent les coureurs réguliers, en particulier au niveau articulaire et cardiovasculaire[2].

À l’époque, certains lecteurs outrés m’avaient reproché de m’attaquer ainsi au « sain des sain », si je peux me permettre, des activités sportives.

Hélas, non seulement les dernières années ont confirmé ce que j’écrivais alors (vous rappelez-vous de surcroît de « l’épidémie » d’infarctus chez les sportifs, et en particulier les coureurs ?) mais les dernières recherches… ont révélé d’autres méfaits.

Il y a quelques jours, une enquête parue dans Le Point mettait en lumière une autre face sombre du phénomène : la course à pied peut devenir addictive[3], comparable au cannabis.

Elle agit sur le cerveau comme une drogue, déclenchant la libération d’endorphines et d’endocannabinoïdes et une envie de toujours plus.

Courir fait « planer » le coureur, au point que certains ne peuvent plus s’arrêter, malgré les blessures, malgré la douleur.

Pire, cette douleur devient exquise. Cécile Coulon, auteure d’un Petit éloge du running[4], met cet aspect en valeur : « Un coureur cherche, avant toute chose, à explorer sa douleur. Volontairement infligée, elle n’est pas plus cette sensation affreuse que l’on subit par surprise ».

Cela porte un nom : le masochisme.

« Tous les adeptes de running et de trail le disent : il y a une forme de masochisme heureux dans leur rapport à la course. “Après une vingtaine de minutes, vous ne souffrez plus : vous planez même, un peu comme après une prise de cannabis”, explique Francis Chaouloff, directeur de recherche Inserm au Neuro-centre Magendie de Bordeaux. L’exercice physique, et l’endurance au premier chef, stimule la production d’endorphines qui effacent la douleur et procurent du plaisir. Mais il active également d’autres neurotransmetteurs, les endocannabinoïdes, dont l’équipe de Francis Chaouloff a montré qu’ils jouaient un rôle clé dans la motivation. Résultat : un effet anxiolytique voire antidépresseur puissant, un plaisir intense… mais aussi un risque d’addiction véritable[5]. »

Bref, comme toute dépendance, elle finit par enfermer au lieu de libérer.

Un besoin vital, qui peut devenir mortel

C’est ce que la science appelle aujourd’hui la bigorexie, ou l’addiction au sport ; elle est reconnue depuis 2011 par l’OMS et se définit comme le « besoin irrépressible et compulsif de pratiquer régulièrement et intensivement une ou plusieurs activités physiques et sportives en vue d’obtenir des gratifications immédiates et ce malgré des conséquences négatives à long terme sur la santé physique, psychologique et sociale[6] ».

Elle touche entre 10 et 15 % des pratiquants intensifs.

Ce sont ceux qui « ne peuvent pas s’arrêter », même blessés, même épuisés. Ceux pour qui transpirer devient un anxiolytique, un antidépresseur.

Un besoin vital, qui peut devenir mortel.

Un exemple tragique : Micah True, légende de l’ultramarathon, mort à 58 ans après une simple sortie de 20 km. Autopsie : hypertrophie du ventricule gauche ayant mené à un arrêt cardiaque pendant l’effort. Cause : probablement l’excès d’effort répété pendant des années.

« Les blessures ont commencé à le ralentir à l’approche de la quarantaine, mais il a fini par considérer ces désagréments comme une libération. Il s’est alors moins préoccupé d’accumuler les kilomètres et davantage de trouver des sentiers difficiles. Courir était une exploration, intérieure et extérieure, les endorphines nourrissant son bonheur cérébral », écrivait le New York Times quelques mois après sa mort[7].

Mais il n’y a pas que la dégradation du cœur, des articulations, et le fait de ne plus être à l’écoute de son corps, au titre des dommages du sport intensif et de la course à pied extrême : il y a désormais aussi le cancer.

Ils courent vers la mort

Une récente étude de la société américaine d’oncologie clinique a soulevé un paradoxe glaçant : chez les personnes de plus de 45 ans qui courent régulièrement, on observe un risque significativement accru de cancer colorectal avancé[8].

Oui, vous avez bien lu.

C’est le Dr Timothy Cannon, oncologue, qui a lancé cette étude après avoir eu dans son cabinet coup sur coup trois jeunes patients, coureurs réguliers, qui souffraient d’un cancer du côlon avancé[9].

Il a donc recruté 100 coureurs (hommes et femmes) de marathon et d’ultramarathon âgés de 35 à 50 ans pour leur faire passer une coloscopie.

Savez-vous chez combien d’entre eux il a trouvé des polypes ?

40.

40 sur 100 !!!

Chez 15 % des 100 coureurs, ces polypes étaient déjà cancéreux.

Ce taux d’adénomes avancés est beaucoup plus élevé que celui observé chez les adultes d’une quarantaine d’années dans la population générale, qui varie de 4,5 à 6 %, selon des études récentes[10].

Le chiffre chez les coureurs était même plus élevé que le taux de 12 % chez les autochtones d’Alaska, lesquels sont plus affectés que la moyenne par des cancers du côlon[11].

Ces chiffres sont ahurissants.

Ils ne disent évidemment pas qu’il faut, dans l’absolu, arrêter de courir.

Mais ils révèlent au grand jour les dangers d’une course à pied à la régularité et à l’intensité excessive, qui fait plus de mal à l’organisme que de bien, et qui au final revient à un processus d’autodestruction.

La bigorexie, explique le psychiatre Stéphane Prétagut dans l’article du Point, « est compliquée à soigner, parce qu’elle n’est pas immédiatement décelable et qu’elle est socialement valorisée ».

Une blessure d’âme ?

Dans un article qu’il consacrait à la bigorexie il y a quelques années dans Alternatif Bien-Être[12], Emmanuel Duquoc révélait un point commun à tous ces adeptes des sports extrêmes.

Il évoque le cas de Micah True : « Un détail de sa biographie ne laisse pas d’intriguer. Tombé amoureux d’une femme à Hawaï, il aurait commencé à courir de longues distances après qu’elle l’eut quitté… »

Serait-ce pour dépasser ce chagrin d’amour que le sportif aurait commencé à vouloir se dépasser au-delà de tout bon sens ?

Dans un témoignage bouleversant, la championne de boxe Aya Cissoko raconte comment les deuils de son enfance – la perte de son père et de sa sœur dans un incendie criminel lorsqu’elle avait huit ans, puis le décès de son frère onze mois plus tard – ont nourri sa rage de vaincre.

Et combien, derrière ses exploits, se cachait une blessure d’âme. Une douleur muette. Une solitude ancienne.

Même si tous les coureurs ne traversent pas des drames aussi terribles, la course semble bel et bien servir de compensation rageuse et éperdue à un vide, un manque ; l’un des runners interrogé par Le Point évoque ce qu’on peut interpréter comme un vide existentiel et un manque de confiance en lui :

« Alexandre Boucheix, cadre chez JC Decaux, parisien, jeune père et ultratraileur connu sous le nom de Casquette-Verte, dit être “entré en course” comme on entre en religion. “Je ne cherchais rien de particulier, je fuyais plutôt, je courais après une liberté que ma vie quotidienne ne me donnait pas.” La pratique intensive du trail lui a appris à relativiser toutes les difficultés : “J’arrive avec 70 000 kilomètres de confiance en moi[13]”. »

J’écrivais, au début de cette lettre, que ces coureurs du dimanche courent en direction de nulle part.

C’est précisément ce vide, cette absence de but dans la vie, que beaucoup cherchent à fuir dans l’effort. Les endorphines leur procurent une satisfaction immédiate que leur vie ne leur apporte pas.

Il y a pourtant une autre solution.

Préférez cette hormone

Je vais vous dire un secret que ni les coachs sportifs, ni les apôtres des sports extrêmes, ne vous diront jamais : l’hormone la plus puissante pour votre bien-être n’est pas l’endorphine.

C’est l’ocytocine.

Elle n’apparaît pas après une série de pompes ou une course de 20 km.

Elle surgit quand vous riez avec un ami. Quand vous prenez votre enfant ou vos petits-enfants dans vos bras.

Quand vous êtes simplement en lien.

L’attachement humain, la tendresse, l’écoute, voilà ce qui régule vraiment votre stress.

Oui, courir libère. Oui, l’effort est bon pour la santé – mais pas à n’importe quelle dose, et surtout pas pour fuir une douleur intérieure.

L’exemple des séniors des zones bleues, une fois de plus, est éloquent : ils ne font pas de sport intensif. En revanche, ils ont une activité physique quotidienne, douce et adaptée – et surtout utile : ils font du vélo pour aller voir leurs amis, leur famille, ils s’occupent de leur jardin.

Ils ne font pas tout ça en courant comme des forcenés ni en se faisant mal !

Si une blessure d’âme est à l’origine de votre pratique d’un sport intensif, vous ne la guérirez pas en poussant votre corps à bout. Faites à la rigueur une psychanalyse (si vous y croyez), mais laissez votre corps tranquille.

La santé n’est pas une question de record. Elle repose sur l’équilibre, la régularité, l’écoute de votre corps.

Marcher, nager tranquillement, pédaler, danser, jardiner… voilà des gestes simples qui entretiennent vos muscles, vos os, votre moral – sans basculer dans l’addiction ou l’usure prématurée.

Une activité physique intelligente ne consiste pas à courir plus loin, plus vite, plus longtemps…

Mais de savoir s’arrêter à temps.

Vous pouvez me donner votre opinion sur ce sujet en commentaire à cette lettre.

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] https://www.cochrane.org/fr/evidence/CD013368_running-shoes-preventing-lower-limb-running-injuries-adults – N. Relph, H. Greaves. R. Armstrong et al., « Chaussures de course dans la prévention des blessures de course des membres inférieurs chez les adultes », in. Cochrane, 22 août 2022

[2] https://alternatif-bien-etre.com/maladies/maladies-cardio-vasculaires/arretez-le-jogging-vous-allez-vous-faire-mal/ – Rodolphe Bacquet, « Arrêtez le jogging, vous allez vous faire mal ! », site d’Alternatif Bien-Être, 12 juillet 2019

[3] https://www.lepoint.fr/societe/planer-comme-avec-du-cannabis-quand-la-course-a-pied-devient-addictive-15-08-2025-2596376_23.php?utm_source=chatgpt.com#11 – Marion Cocquet, « Planer avec du cannabis : quand la course à pied devient addictive », in. Le Point, 15 août 2025

[4] Cécile Coulon, Petite éloge du running, Les Pérégrines, 2021

[5] Le Point, art.cit.

[6] https://www.envsn.sports.gouv.fr/assets/images/docedit/recherche-expertise/prepa_mentale/fiches_reflexions_dentraineurs/01-les-dangers-de-la-dependance-au-sport.pdf – N. Crépin, « Les dangers de la dépendance au sport : un risque d’addiction possible ? » (fiche réflexions d’entraineur), INSEP (Institut national du sport)

[7] https://www.nytimes.com/2012/05/21/sports/caballo-blancos-last-run-the-micah-true-story.html – Barry Bearak, « Caballo Blanco’s Last Run : the Micah True Story », in.The New York Times, 20 mai 2012

[8] https://www.asco.org/abstracts-presentations/ABSTRACT491966 – Timothy Cannon, « Risk of pre-cancerous advanced adenomas of the colon in long distance runners », site de l’American of Society of Clinical Oncology (ASCO)

[9] https://www.nytimes.com/2025/08/19/health/running-colon-cancer.html – Roni Caryn Rabin, « Are Marathons and Extreme Running Liked to Colon Cancer ? », in. The New York Times, 19 août 2025

[10] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/39531396/ – Theodore R. Levin, et al., « Colorectal Cancer Screening Completion and Yield in Patients Aged 45 to 50 Years : an Observational Study », in. Annals of Internal Medicine, décembre 2024

[11] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31377493/ – Alison A. Conway, et al., « High Prevalence of Adenomatous Polyps in Alaska Native People Aged 40-49 years », in The Journal of Surgical Resarch, novembre 2019

[12] « Accro au sport : et si c’était un signe de détresse ? », in Alternatif Bien-Être n°122

[13] Le Point, art.cit.