Chers amis,

Quelles que soient vos opinions politiques, vous n’êtes sans doute pas indifférent au feuilleton politique qui se joue en France depuis quelques semaines, et qui ces tout derniers jours a pris une tournure sidérante.

Un troisième premier ministre nommé en moins d’un an, qui met trois semaines à constituer un gouvernement, pour finalement démissionner le lendemain, un lundi matin, et être renommé premier ministre le vendredi même !

Quel est le sentiment qui domine en vous face à cette valse-hésitation inédite sous la Vè République ?

La consternation ?

L’exaspération ?

Ou bien la compassion ?

Premier ministre est, selon la formule consacrée, un poste de « fusible », mais il n’était jamais arrivé que le titulaire prenne de lui-même conscience de l’impossibilité de sa tâche, y renonce, et soit rattrapé par le colback par un Président lui intimant de s’y remettre fissa !

C’est à se demander si la personne au centre de cet imbroglio politique ne paye pas une « dette karmique » particulièrement salée !

Je ne plaisante qu’à moitié : il y a, dans la personne de Sébastien Lecornu – et j’écris cela sans affect particulier à son endroit – quelque chose qui semble en ce moment « aimanter » les emmerdes.

Et qu’on peut « apercevoir » en lisant son nom même.

« Sébastien Lecornu », un nom qui en dit long

« Mais qu’est-ce qu’il nous fait là Rodolphe ? Il n’y a quand même pas grand rapport avec la santé ! »

Certes non, j’en conviens, mais le drame – ou la comédie, selon votre interprétation – dont Sébastien Lecornu joue malgré lui le rôle principal, est suffisamment spectaculaire pour explorer le rapport entre ce destin atypique et le nom qu’il porte.

Car, pour ma part, il y a plusieurs choses qui me sautent aux yeux, rien qu’en lisant son nom.

L’onomancie est une très ancienne science ésotérique qui interprète la personnalité et la destinée d’un individu à partir de ses seuls nom et prénom.

Mais… ce n’est pas ce que je vais faire.

D’abord, parce que je n’y connais rien.

Ensuite, parce que, là, c’est la symbolique qui m’intéresse.

Or, en termes symboliques, « Sébastien Lecornu » n’est pas du tout une identité anodine.

D’abord, son prénom : Sébastien.

Saint-Sébastien, le martyr criblé de flèches… qui survit

Des Sébastien, il y en a des dizaines de milliers de vivants en France ; mais Sébastien Lecornu est le premier individu ainsi prénommé à occuper un poste si haut placé dans toute l’histoire de France.

Je vous assure, j’ai vérifié : aucun Premier ministre, président du Conseil ou chef de gouvernement n’a porté le prénom Sébastien, dans aucune des cinq républiques françaises, ni sous les deux empires, ni sous l’ancien régime.

Pourtant, ce prénom, qui vient du grec Sebastianos, (« originaire de Sébaste »), mais aussi lié à sebastos (σεβαστός), signifiant « vénérable, auguste », d’où son association à la dignité impériale (comme « Auguste » en latin), pourrait « prédestiner » au pouvoir.

Sauf que… le saint du même nom, Saint-Sébastien, est surtout une figure majeure du christianisme primitif : un soldat romain martyrisé pour avoir défendu sa foi, attaché à un poteau et transpercé de flèches.

L’année dernière à l’occasion d’une visite au Kunsthistorisches Museum de Vienne, j’ai eu l’occasion d’admirer une saisissante représentation du martyr de Saint-Sébastien, signée Mantegna :

Ce pauvre Saint-Sébastien est tellement criblé de flèches qu’il ressemble à un porc-épic.

Mais regardez bien : Mantegna le représente toujours bel et bien vivant.

Et c’est ce qu’il y a de plus frappant dans la tradition associée à ce saint martyr : il survit à sa condamnation à mort.

Il survit à toutes les flèches qu’il reçoit… et même en guérit.

Mais il ne survit, et ne guérit… que pour être finalement, et effectivement, mis à mort, cette fois à coups de verges.

Quelle violence dans ce destin !… Et surtout quel étonnant rapprochement avec notre premier ministre « en sursis » qui survit une première fois à la démission provoquée par les flèches des autres partis politiques, ne trouvez-vous pas ?

Saint-Sébastien, c’est donc le Saint martyr touché, encore et encore, mais non détruit, et finalement bel et bien mis à mort par la défiance des personnes qui le tiennent à sa merci !

Mais il y a encore autre chose, vous le voyez bien sur cette image.

Saint-Sébastien est un « sujet » populaire de la peinture de la Renaissance italienne : il est même devenu une icône érotique car il est toujours représenté nu, tout au plus doté d’un pagne. 

Saint-Sébastien, représenté le corps nu

Lecornu, le corps nu

Quand on entend « Lecornu », on entend d’abord « le cornu » : celui qui a des cornes.

Non pas le cocu, mais, étymologiquement, le cornu est celui qui a du caractère, tel le taureau, et qui fonce.

Marque de force, voire de virilité.

Mais on peut également entendre « le corps nu » : et on passe tout à coup du pouvoir viril à la vulnérabilité mise à nu.

Or c’est exactement ce que représente Saint-Sébastien : un corps nu transpercé, offert au regard et au supplice.

Cette seconde lecture serait tout à fait anecdotique si le patronyme « Lecornu » n’était pas associé au prénom d’un Saint Martyr toujours représenté avec un corps musclé, dans une pose à la fois souffrante et lascive !

On peut donc lire ce nom comme une métaphore de la nudité du pouvoir, du corps politique exposé à la critique, à la blessure (et éventuellement à la vénération, mais nous n’en sommes pas encore là je crois).

L’association Sébastien / Lecornu devient presque une figure de tension.

D’un côté, Sébastien, le vénérable, le fidèle, le soldat de l’ordre et de la foi.

De l’autre, le corps nu, exposé, souffrant, humain.

Vous avez dans ce simple patronyme à la fois le pouvoir qui s’expose – un ministre, un responsable, comme saint Sébastien, au centre des tirs, cible des flèches (médiatiques, politiques) – et l’homme derrière la fonction : celui dont la nudité symbolique rappelle la dimension charnelle, fragile, voire sacrificielle du pouvoir.

Une figure de la loyauté blessée, de la résistance stoïque face à l’attaque.

On pourrait dire que le nom tout entier compose une sorte d’oxymore vivant : Sébastien Lecornu = « le vénérable corps nu », qui continue stoïquement à recevoir ses flèches…

Je ne vous en voudrai pas si vous estimez que j’élucubre.

Mais la « survie politique » de Sébastien Lecornu étant raisonnablement douteuse après son discours de politique générale hier après-midi à l’Assemblée nationale, c’était le moment ou jamais de partager avec vous mes réflexions sur cet étrange cas !

Je vous invite à partager les vôtres, de réflexions sur ce sujet, en laissant un commentaire à cette lettre.

Portez-vous bien,

Rodolphe