Chers amis,

Une bonne alimentation ne vaut pas grand’chose sans une bonne mastication.

J’ai (re)découvert cette évidence lors de ma cure de détox, ainsi qu’en discutant avec un nutrithérapeute.

Je me suis rendu compte que, malgré moi, pris par le temps, je ne prenais pas la peine de mâcher suffisamment mes aliments.

Dans un contexte de travail ou même de vie de famille, où les repas s’intercalent entre mille autres choses à faire, nous avons plus facilement tendance à avaler quasiment tout rond les aliments, à manger « sur le pouce », en « deux-deux »…

Pour autant, y a-t-il une « bonne » quantité déterminée de coups de mâchoire à donner avant d’avaler ses aliments ?

Je réponds à cette question dans cette lettre.

La digestion commence dans la bouche

La digestion consiste, pour notre organisme, à faire le tri entre les nutriments qui lui seront utiles et les éléments indésirables (qui seront transformés en matière fécales).

Aussi la digestion ne commence-t-elle pas dans les intestins ni dans l’estomac, mais bel et bien dans la bouche.

Car, pour que ce tri s’opère de façon correcte, il faut couper, couper, couper encore et encore les aliments : d’abord à coups de hache (par les dents) puis de façon plus chirurgicale (par les enzymes digestives).

Mastiquer suffisamment a donc deux vertus :

  • Le bol alimentaire (la bouillie créée par les aliments mâchés et mélangés entre eux) envoyé à l’estomac par l’œsophage est le plus fluide possible, garantissant une déglutition sans douleur et réduisant le risque de « fausse route » ;
  • Le travail des enzymes digestives est facilité et donc plus rapide; l’absorption des nutriments, plus efficace.

Vous digérez donc plus vite et de façon moins fatigante… et ce uniquement grâce à un usage généreux de vos dents.

Mais ce n’est pas tout : certaines enzymes digestives se trouvent déjà dans la bouche : l’amylase, présente dans la salive, a pour fonction de digérer l’amidon (le glucide des pommes de terre et d’autres féculents, ainsi que du pain).

Lorsque vous avalez une bouchée de pain, vous n’absorbez donc son amidon que si vous l’avez bien mâché au préalable.

La mastication a une autre fonction : « mesurer » la quantité de nourriture dont vous avez besoin… et donc contribuer à atteindre votre poids de forme.

Pourquoi bien mâcher peut aider à mincir

C’est en mâchant que le cerveau libère l’histamine, un neurotransmetteur donnant le sentiment de satiété.

En principe ce sentiment de satiété est censé nous envahir au bout de 15 à 20 minutes de mastication : c’est le moment où notre organisme dit à notre fourchette « c’est bon, n’en jetez plus ».

On comprend, dès lors, l’utilité de mastiquer suffisamment ses aliments : plus on mâche, plus on mange lentement.

Plus on mange lentement… moins on mange (si toutefois on écoute ce sentiment de satiété).

Et moins on mange… moins on prend de poids !

Des chercheurs de l’université d’Indianapolis l’ont, entre autres, démontré d’une façon éclatante. Ils ont recruté 13 volontaires, auxquels ils ont donné 55 grammes d’amandes à manger.

Mais ils ne devaient pas mâcher ces amandes le même nombre de fois : 10 fois, 25 fois ou 40 fois. Les chercheurs voulaient vérifier que le nombre de mastications influençait leur appétit : en effet, 3 heures après, ceux qui avaient mâché 40 fois avaient moins envie de manger que les autres[1].

Mais une amande, c’est dur : il paraît donc normal de la mâcher un grand nombre de fois.

Qu’en est-il pour des aliments plus mous… de plus en plus nombreux ?

Le triomphe du mou

Je ne vous apprendrai rien en vous écrivant que l’industrie agro-alimentaire joue un rôle capital dans la malnutrition contemporaine : plus un produit est raffiné et transformé, plus il est pauvre en bons nutriments, et saturé de mauvaises graisses, de sucre et de substances douteuses comme les perturbateurs endocriniens.

Cette même industrie a également une responsabilité directe dans la perte de l’habitude de bien mâcher, pour deux raisons.

La première, ce sont évidemment les fast-foods qui, comme leur nom l’indique, sont vite préparés, et vite avalés.

Si un régime régulier à base de fast-food et de junk food fait grossir et engendre du diabète de type 2, ça n’est pas seulement parce qu’il est excessivement sucré et saturé de mauvaises graisses : c’est aussi parce qu’il fait manger beaucoup et vite.

Les aliments n’ont pas le temps d’être correctement « découpés », et le sentiment de satiété arrive toujours trop tard.

La seconde, c’est la texture de ces aliments. L’industrie agro-alimentaire, dans la transformation des aliments, accorde une importance capitale à cette texture, privilégiant le croquant et le croustillant d’une part (comme les chips et les biscuits) et le mou d’autre part.

Des deux – le croustillant et le mou – c’est le mou qui a la part belle. Lorsque l’on mord dans un burger industriel, vous ne croquez pas dans du pain, mais dans de la mousse.

Et tous les autres aliments sont passés à cette moulinette qui « pré-digère » les aliments : les steaks sont hachés, les légumes tellement cuits qu’ils fondent dans la bouche et la salade, si d’aventure il y en a, noyée dans la sauce.

Ce triomphe du mou n’est pas anodin : il fait mâcher moins longtemps, avaler plus vite, et donc consommer davantage.

Contre cela, il y a une réponse simple.

L’importance du goût

Cette réponse, c’est le goût.

Le goût, fin, subtil et complexe, des aliments au naturel et/ou préparés par un cuisinier qui s’y connaît.

Ces arômes, ces saveurs, sont non seulement le meilleur antidote aux nourritures industrielles truffées d’exhausteurs de goût standardisés, mais aussi et surtout le meilleur moyen de mastiquer longuement ses aliments.

Parce que l’on a davantage de plaisir à garder en bouche une nourriture délicieuse.

Parce que, à mesure que nous la « découpons », le contenu de notre fourchette s’adresse à différents récepteurs de goûts présents sur notre langue.

Parce que chaque bouchée est un petit festival, que l’on n’a pas envie d’avaler sans en avoir profité !

Voici comment une bonne cuisine peut, in fine, vous aider à améliorer votre métabolisme et à avoir une digestion plus efficace : en vous donnant envie de bien la mâcher !

Alors, combien de fois faut-il mâcher ?

On entend, ça et là, qu’il faudrait mâcher 20 ou 30 fois avant d’avaler ; certains avancent même le chiffre très précis de 32 fois[2] !

La bonne réponse est à la fois beaucoup moins arithmétique, et beaucoup plus simple : il faut mâcher… jusqu’à ce que le contenu de votre bouchée soit réduit à l’état de bouillie.

Et le nombre de coups de dents sera évidemment plus élevé pour une poignée d’amandes (et selon le nombre d’amandes dans cette poignée !) que pour une cuillère de soupe.

La conclusion à tirer de tout cela n’est pas nécessairement qu’il vaut mieux manger mou ou liquide !

Plusieurs études ont établi un lien entre le faible exercice des mâchoires et… le déclin cognitif et l’espérance de vie[3].

Autrement dit : moins on mâche, plus on a de chances de développer une démence sénile, sans pour autant que le lien soit parfaitement compris.

Dans tous les cas, ne prenez pas systématiquement de la soupe à chaque repas : vous pourrez en boire à loisir si vos dents tombent… En attendant, donnez-leur du travail, à ces dents !

Ces dents sont faites pour mâcher – pour parodier Nancy Sinatra : si l’évolution nous en a doté, c’est parce que nous avons tout intérêt à nous en servir à bon escient.

Et pour ma part, si je n’ai pas beaucoup de temps pour manger, je préfère jeûner ou manger très peu, plutôt que ne pas pouvoir consacrer à mon repas le temps qu’il mérite… et dont il a besoin pour être bien mastiqué, et bien assimilé.

Portez-vous bien,

Rodolphe

[1] Cassady BA, Hollis JH, Fulford AD, Considine RV, Mattes RD. Mastication of almonds: effects of lipid bioaccessibility, appetite, and hormone response. Am J Clin Nutr. 2009 Mar;89(3):794-800. doi: 10.3945/ajcn.2008.26669. Epub 2009 Jan 14. PMID: 19144727.  https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19144727/

[2] Jak, « Mastication : 32 est-il vraiment le chiffre magique ? », Konjak Paris, 25 mars 2021, https://www.konjakparis.com/blogs/le-blog-de-jak/mastication-32-est-il-vraiment-le-chiffre-magique

[3] Tada A, Miura H. Association between mastication and cognitive status: A systematic review. Arch Gerontol Geriatr. 2017 May-Jun;70:44-53. doi: 10.1016/j.archger.2016.12.006. Epub 2016 Dec 14. PMID: 28042986. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28042986/