Chers amis,

Il y a un peu plus de deux ans, à Chypre, je suis tombé nez à nez avec… ce squelette de chat, exposé dans le musée archéologique de Limassol :

Si ce squelette excavé de félin est exposé dans un musée, c’est parce que c’est la plus ancienne trace au monde d’un rituel funéraire pour un chat jamais découverte.

Ce chat a en effet été enterré aux côtés d’un être humain il y a près de 10 000 ans, en plein néolithique. Je ne vous cache pas que j’ai été assez ému en le contemplant.

Il a été découvert il y a une vingtaine d’années par des chercheurs français lors de fouilles : l’animal reposait à vingt centimètres du corps d’un homme d’environ trente ans, soulignant l’existence d’un lien affectif, voire spirituel, entre l’homme et son chat[1].

La découverte, à l’époque, a bouleversé ce qu’on croyait savoir sur la domestication du chat par l’homme.

Jusqu’ici en effet, les plus anciennes « inhumations » de chats attestant d’une domestication de l’animal étaient celles découvertes en Égypte, et remontent à 2000 ans avant J.-C. maximum ; soit… 5000 ans après la sépulture découverte à Chypre !

Tout à coup, « l’âge » du chat domestique passait du simple au double et même davantage : de 4000 à plus de 9000 ans !

Et, croyez-le ou non, mais l’ancienneté de cette « intimité » s’exprime… dans votre smartphone.

Depuis près 10 000 ans au moins donc, les chats se sont fait une place très particulière dans le cœur et la vie des êtres humains.

Peut-être vous-même avez-vous un, ou plusieurs chats.

Il est possible, aussi, que les chats vous exaspèrent, que vous les détestiez.

Dans tous les cas, les chats ne laissent personne indifférent : soit ils vous attirent comme un aimant, soit ils vous repoussent comme un aimant… à la charge magnétique répulsive pour vous !

Mais admettons que vous aimez les chats (même si vous ne les aimez pas, continuez à me lire, vous allez comprendre pourquoi) ; il y a de fortes chances pour que vous trouviez cette petite vidéo d’un chat sautant dans la neige amusante et touchante :

Ou encore, que vous « fondiez » devant ceux-là :

« Trop mignon », n’est-ce pas ?

Si vous avez Facebook, Instagram ou TikTok sur votre téléphone, vous avez remarqué que les vidéos de chat se sont multipliées sur ces réseaux sociaux.

Vous pouvez allumer l’une de ces applications, tomber sur une vidéo mignonne ou amusante de chat et… « scroller » pendant des heures en enchaînant des vidéos de chats.

C’est sans fin !

Je vois ainsi ma compagne et mes enfants parfois s’agglutiner autour d’un téléphone et « enchaîner » les vidéos de chats ; je les entends tour à tour éclater de rire et pousser des petits cris aigus : « ooooooh trop mignoooooon ! »

Ce flux ininterrompu et ce succès des vidéos de chats reposent sur deux ingrédients.

Le premier, c’est la relation affective que nous avons depuis des milliers d’années avec ces animaux.

La domestication du cheval, du chien ou d’autres animaux est encore plus ancienne que celle du chat, pourtant ils n’ont pas le même succès sur les réseaux : personne ne scrolle des heures pour regarder des vidéos de vaches.

Le chat a un côté kawai (« mignon », en japonais) universel.

Mais ça ne suffit pas. Il fallait un second ingrédient.

Ce second ingrédient, c’est l’algorithme des réseaux sociaux et, d’une façon plus générale, la logique des médias pour capter votre attention.

Cela porte un nom en psychologie : l’engagement émotionnel.

L’engagement émotionnel, c’est ce mécanisme par lequel une émotion captée ou déclenchée vous pousse à agir, souvent sans même que vous en ayez conscience.

Vous savez que l’algorithme des réseaux sociaux comme ceux de Mark Zuckerberg, qui détient, pardonnez du peu, Facebook, Instagram et WhatsApp, n’a qu’une seule raison d’être : que vous, utilisateur, continuiez à les utiliser et que vous passiez le plus de temps possible dessus.

L’algorithme, pour réussir cette mission, « note » les contenus qui vous plaisent le plus et vous offre la même chose, en boucle, mais quand même avec des variantes pour mieux cibler encore ce qui capte votre attention. 

Ce processus repose sur votre engagement émotionnel.

Quand vous souriez devant une vidéo de chat maladroit ou que vous partagez celle d’un chaton endormi avec vos proches, vous êtes pris dans un processus positif d’engagement émotionnel.

Vous ressentez de l’amusement et une forme d’attendrissement immédiat.

Ces émotions légères vous rendent réceptif, disponible. Elles vous engagent.

Pas seulement à regarder, mais à continuer à regarder, à aimer (ou, comme on dit, à « liker »), à commenter et à partager.

C’est un cercle vertueux, ou du moins il en a l’apparence.

Ces algorithmes des réseaux sociaux favorisent les contenus générant de fortes réactions émotionnelles, car :

  • Ils maintiennent plus longtemps votre attention,
  • Ils augmentent votre temps de connexion,
  • Ils encouragent les interactions visibles (likes, partages, commentaires).

Bref, votre émotion alimente votre attention, et votre attention nourrit l’algorithme, qui vous sert davantage de contenus similaires.

D’ailleurs si vous n’aimez pas les chats et que les vidéos de chatons vous énervent, il y a peu de chances que vous tombiez régulièrement dessus : l’algorithme vous sert sur un plateau d’argent ce qui vous plaît vraiment.

Ce mécanisme, fondamentalement, n’est pas mauvais en soi. Il devient problématique lorsqu’il est détourné à d’autres fins.

Car l’engagement émotionnel ne se limite pas aux vidéos attendrissantes. Il fonctionne tout aussi bien – sinon mieux – avec des émotions négatives.

Les chatons, c’est mignon ; s’attendrir devant eux est, je le disais, l’une des émotions positives les plus universelles.

La peur et la colère sont encore plus universelles.

Les émotions négatives ont, elles aussi, une efficacité diabolique pour capter votre attention. Sans doute plus diabolique encore !

Tout le monde ne trouve pas les chats mignons, mais tout le monde déclenche son mode « vigilance » si on lui parle en boucle d’une menace, quelle qu’elle soit : menace d’une pandémie mortelle mondiale, menace d’un hiver sans chauffage, menace d’une guerre avec la Russie (toute ressemblance avec des faits réels n’a rien de fortuite).

Cela, les médias « classiques », et notamment les chaînes d’info en continu, l’ont compris depuis longtemps.

La peur, la colère, l’indignation, l’humiliation : ces émotions, plus intenses, ont une force de frappe bien plus puissante. Ce sont elles qui font exploser les audiences, le nombre de vues, les partages frénétiques, les commentaires en rafale.

Là où la mignonnerie capte votre attention quelques secondes, la peur et la colère vous retiennent des heures devant un écran, à l’affût des dernières nouvelles d’une crise ou, à une époque encore pas si lointaine, des derniers chiffres des morts du Covid.

Là où un rire s’oublie vite, l’indignation s’ancre. Elle crée des camps, des oppositions, des effets de tribu. Elle vous pousse à défendre une position, à attaquer une autre, à vous impliquer plus profondément.

Beaucoup de contenus sont aujourd’hui délibérément conçus pour déclencher ces émotions négatives.

Les titres sont provocateurs, les images choquantes, les formulations polarisantes.

L’objectif : vous piquer au vif, vous faire réagir, vous garder accroché.

C’est ainsi qu’il se produit, sur les réseaux sociaux, le même phénomène débilisant que sur les chaînes d’info en continu : ce sont les mêmes contenus, les mêmes informations, les mêmes discours, qui passent en boucle, avec seulement de légères variations.

Peu de gens regardent en boucle des émissions de recettes de cuisine.

En revanche, beaucoup regardent en boucle les émissions qui entretiennent en eux des émotions négatives : peur, colère et indignation en premier lieu.

Autrement dit, les mêmes ressorts émotionnels qui vous font aimer des vidéos de chat peuvent aussi vous enfermer dans une spirale de peur, de rage ou d’incompréhension.

Ce mécanisme explique :

  • La viralité de certains discours obsessionnels (souvent émotionnellement chargés, comme le « genre » de Brigitte Macron) ;
  • La montée des discours polarisants (au hasard, l’extrémisme woke !) ;
  • Une forme d’addiction à la stimulation émotionnelle constante.

C’est là que l’engagement émotionnel devient un piège. Un piège dangereux pour la santé !

Qu’avez-vous perdu à regarder pendant une heure des vidéos de chatons en boucle ?

Du temps, tout au plus, que vous auriez pu employer à autre chose, certes.

Mais que perdez-vous en consultant en boucle des contenus suscitant peur, colère et indignation ?

De la tranquillité d’esprit, de la paix intérieure, et même votre santé.

Ces émotions négatives, lorsqu’on y est exposé de façon régulière, créent un stress chronique, altèrent votre équilibre cardio-vasculaire et affaiblissent vos défenses immunitaires.

(c’est pour ça que les hypocondriaques sont effectivement en moins bonne santé : ils ont toujours peur d’être malades !)

Quitte à vous laisser « happer » par l’engagement émotionnel des écrans, quels qu’ils soient… autant que ce soit par les chatons.

Pour le reste, il est préférable d’éteindre votre télé pour vous éviter d’être pollué par ce cercle vicieux d’émotions négatives. En tant qu’adulte, vous êtes armé pour gérer cela.

Le problème, c’est que les adolescents, et même les enfants, auxquels on met entre les mains de plus en plus jeunes des téléphones portables, eux, ne le sont pas.

Mais ceci est une autre histoire…

Vous pouvez me donner votre opinion sur ce sujet en commentaire.

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] https://www.lorientlejour.com/article/472493/Archeozoologie_-_Des_ossements_d%27un_felin_decouverts_dans_une_tombe_remettent_en_cause_la_date_de_la_domestication_de_l%27animalLe_chat_aurait_ete_a.html – « Archéozoologie : des ossements d’un félin découverts dans une tombe remettent en cause la date de la domestication de l’animal. Le chat aurait été apprivoisé à Chypre plus de 7000 ans avant notre ère », in. L’Orient le jour, 9 avril 2004