Chers amis,

Si vous vous sentez régulièrement faible et fatigué, même après une bonne nuit de sommeil, que vous êtes de plus en plus irritable, que vous avez souvent (ou en permanence) des poches sous les yeux, des vertiges et un teint un peu blafard…

… votre âge n’est pas (forcément) en cause.

Vous souffrez peut-être d’anémie, c’est-à-dire pour l’essentiel d’une carence en fer.

C’est une carence extrêmement démocratique, puisqu’elle touche environ un quart de l’humanité, tous âges, tous sexes, toutes origines géographiques et toutes conditions sociales confondus[1].

Tellement démocratique, qu’on la prend à la légère.

Enfin, pas tout le temps : on la prend très au sérieux chez l’enfant et la femme enceinte (qui sont statistiquement plus sujets à l’anémie que la population générale).

En revanche on la prend à la légère – c’est-à-dire qu’on la diagnostique mal et, partant, qu’on la traite mal – chez une autre population : les plus de 60 ans.

Or l’anémie n’est pas une « petite baisse de régime » anodine.

Êtes-vous à bout ?

Les symptômes de l’anémie sont multiples.

Il y a, d’abord, cette fatigue qui vous colle à la peau.

Ce coup de mou interminable qui s’accompagne parfois de maux de tête, d’un teint pâle, de troubles digestifs, d’une humeur chafouine… et de cheveux qui tombent comme les feuilles en automne.

L’anémie, c’est le signal que vous envoie votre corps quand il manque de certains éléments vitaux – et en premier lieu, de fer.

Cet oligoélément discret joue pourtant des rôles majeurs : il permet à vos globules rouges de transporter l’oxygène, mais aussi à votre cerveau de produire des neurotransmetteurs, et à votre système hormonal de fonctionner.

Mais attention : toutes les anémies ne sont pas causées par un simple manque de fer – et ne se résolvent pas toutes par une simple complémentation en fer.

Ce serait trop simple.

Voici les principales formes à connaître :

Elle est provoquée par un manque pur et simple de fer. On la dépiste en mesurant la ferritine, la protéine qui stocke le fer dans notre corps. Les labos considèrent souvent qu’en dessous de 20 µg/L, il y a carence.

Mais en réalité, les signes de carence apparaissent déjà en dessous de 50 µg/L, selon plusieurs études.

Et même si l’on dose aussi le fer sérique, la transferrine et son coefficient de saturation, c’est bien la ferritine qui reste l’indicateur le plus fiable.

Celle-ci est plus grave. Elle survient souvent après des traitements lourds comme la chimiothérapie ou la radiothérapie. Ici, ce n’est pas le fer qui manque. C’est la « fabrique » à globules rouges elle-même qui est à l’arrêt.

Dans ce cas, les globules rouges deviennent trop gros, mal formés.

En cause : un manque de vitamine B9 (acide folique) ou de vitamine B12. Pour la repérer, on observe un volume globulaire moyen (VGM) supérieur à 95. Il faudra compléter avec un dosage précis de ces vitamines.

Celle-ci est rusée.

Les taux de fer semblent normaux, les réserves aussi… sauf que le corps est en alerte chronique.

Une maladie inflammatoire ou une infection persistante en est souvent la cause. Les marqueurs inflammatoires comme la CRP ou la VS sont alors très élevés.

Et c’est l’inflammation qui bloque l’accès au fer.

Il existe aussi des anémies plus rares, comme :

  • L’anémie pernicieuse, quand la vitamine B12 n’est plus absorbée ;
  • Des anémies génétiques, comme la thalassémie ;
  • Ou encore des anémies liées à un manque d’hormones (thyroïdiennes ou testostérone) ou à une insuffisance rénale.

Près d’un résident en Ehpad sur deux est anémié (mais ça ne veut pas dire ce que vous croyez)

Aux Etats-Unis, une étude publiée dans le Journal of the American Geriatrics Society a révélé que les plus de 60 ans étaient beaucoup plus anémiés que ce que l’on croyait.

On parlait, jusqu’ici, de 12,5 % de cette population.

Les auteurs de l’étude ont découvert qu’en réalité, c’est une personne sur cinq dans cette tranche d’âge qui est anémiée – seulement en se fondant sur les taux de l’OMS[2].

Plus inquiétant : seul un tiers de ces personnes anémiées avaient été correctement diagnostiquées par leur médecin.

Ce chiffre, que j’ai découvert à la lecture d’un article du New York Times, m’a frappé. J’ai voulu savoir ce qu’il en était en France.

Eh bien, en France, on retrouve à peu près les mêmes valeurs que les statistiques « officielles » aux Etats-Unis, c’est-à-dire 11 % chez les hommes, et 10,2 % chez les femmes de plus de 65 ans.

Mais ces chiffres sont, comme outre-Atlantique, probablement très en-dessous de la réalité, ne serait-ce que parce que, d’après le même rapport, 30 % des cas restent inexpliqués !

Il y a donc un vrai problème de dépistage de l’anémie en France.

On trouve en revanche des chiffres plus cohérents chez les plus de 85 ans : 20 % d’entre eux seraient anémiés, et cette proportion s’élève à plus de 40 % chez les résidents en Ehpad d’après l’étude « Exploration de l’anémie chez le sujet âgé » (GHPSO, mars 2023)[3].

Est-ce à dire qu’on est plus anémié en Ehpad que chez soi ?

Pas forcément : cela veut surtout dire que l’on y est plus étroitement suivi médicalement, et que, par conséquent, l’anémie y est plus facilement dépistée.

Avec près d’une personne sur deux diagnostiquée en Ehpad, il est probable qu’on doive effectivement se situer entre 20 et 30 % de la population générale des plus de 60 ans dans la population française.

C’est moi qui suppute, en l’absence d’étude française similaire à celle que j’ai citée aux USA.

Or ces proportions expliqueraient beaucoup de choses.

L’anémie : le précurseur des maladies liées à l’âge ?

Une anémie n’affecte pas de la même manière un enfant, une femme enceinte ou une personne âgée.

Chez cette dernière, l’anémie joue le rôle d’un précurseur des maladies liées à l’âge.

Il y a, d’abord, la mobilité et l’autonomie :

« La présence d’une anémie chez la personne âgée est responsable d’une baisse d’autonomie amenant à un état de dépendance. Le WHAS (Women Health and Aging Study), le EPESE (Established populations for epidemiologic studies of the elderly) et l’étude Chianti sont unanimes sur le fait que l’anémie chez les plus de 65 ans est associée à une diminution du score IADL (Instrumental activities of daily living) et à une mobilité réduite[4]. »

L’anémie, une fois installée, multiplie le risque de chutes, de fractures – donc d’hospitalisation – mais aussi de démence.

C’est donc un problème à prendre très au sérieux.

Si vous avez un doute

Les premiers signes d’alerte sont sournois : fatigue persistante, moral en berne, sommeil perturbé, digestion paresseuse.

Puis, si rien ne change, les réserves s’épuisent. Les taux d’hémoglobine et d’hématocrite chutent.

Et là, c’est l’anémie déclarée, avec son cortège de symptômes plus inquiétants : essoufflement au moindre effort, vertiges, palpitations, ongles qui se fendent, et parfois même malaises.

La première chose à faire, si vous avez un doute, c’est évidemment des analyses sanguines.

Le document du GHPSO propose une démarche claire :

D’abord, demander une Numération Formule Sanguine (NFS) ; c’est le test de base, prescrit par un généraliste, ou un spécialiste :il mesure le taux d’hémoglobine, le volume globulaire moyen (VGM), ferritine, coefficient de saturation de la transferrine (CST), CRP, créatinine.

On peut inclure des marqueurs complémentaires en cas de doute : hépcidine, RET He, réticulocytes.

Dans ce même document, il apparaît que la plupart des anémies s’expliquent par trois causes également réparties (un tiers, un tiers, un tiers) :

  1. Carences (fer, vitamine B9, B12),
  2. Inflammation chronique et maladies (comme l’insuffisance rénale),
  3. Étiologies inexpliquées ou mixtes (incluant les syndromes myélodysplasiques, la polymédication…)

Souvent, plusieurs causes coexistent : deux tiers des cas présentent plusieurs facteurs simultanés.

Vous allez me dire : bon, eh bien la meilleure solution dans tous les cas, c’est de prendre une complémentation en fer !

Eh bien non !

Pourquoi ? La première raison, vous l’avez compris, c’est que la cause d’une anémie n’est pas nécessairement liée à des apports insuffisants en fer.

Le cercle vicieux de la supplémentation

Face à une ferritine un peu basse, le premier réflexe consiste souvent à prescrire du fer à forte dose.

Problème : l’intestin, qui régule finement son absorption, fait souvent barrage. Résultat : le fer s’accumule… dans les tissus. Et là, bonjour l’inflammation, la constipation, les nausées, et à long terme des dégâts bien plus lourds !

Dans certains cas, comme la grossesse ou des règles très abondantes, une supplémentation peut s’avérer nécessaire. Mais même là, inutile de dépasser les 30 mg par jour : plusieurs études montrent que de faibles doses bien tolérées sont tout aussi efficaces.

Lorsque le médecin vous prescrit du fer, il est rare que vous preniez le temps de lire attentivement la notice… et pourtant, elle en dit long.

On y apprend notamment que ce complément ne doit surtout pas être pris en même temps qu’un produit riche en calcium, ni avec du thé ou du café.

Or, quelle est la boisson la plus populaire en fin de repas ?

Le café.

Et quels aliments sont omniprésents dans nos assiettes, particulièrement dans les pays occidentaux ?

Les produits laitiers, bourrés de calcium.

Résultat : à chaque fois que vous accompagnez votre repas d’un laitage, vous réduisez drastiquement l’absorption du fer par vos intestins.

Pas étonnant, dans ces conditions, que tant de femmes se battent contre une anémie qui ne passe pas, malgré les compléments. Leur corps n’absorbe tout simplement pas le fer qu’elles avalent ! Et cela n’a rien à voir avec les règles – sauf en cas de menstruations très abondantes.

Le même paradoxe se retrouve avec les compléments de calcium, souvent prescrits pour « protéger les os ». Une démarche dont on sait aujourd’hui qu’elle est non seulement inefficace, mais aussi potentiellement risquée.

Et ce n’est pas tout. Car le fer, pris en trop grande quantité, peut lui-même devenir dangereux…

C’est la seconde raison : trop de fer tue le fer.

Le fer, mal assimilé, rouille – et ça fait des dégâts

Quand je dis que trop de fer tue le fer, je ne parle pas seulement au sens figuré.

Aux États-Unis, l’ingestion accidentelle de compléments de fer est la première cause de mortalité par empoisonnement chez les enfants de moins de six ans[5].

Mais même chez l’adulte, une supplémentation mal dosée ou mal indiquée peut faire des ravages.

Le fer pris sous forme de complément alimentaire est « libre », c’est-à-dire non lié à des protéines. Dans notre organisme, il s’oxyde.

Il rouille.

Et ce processus accélère le vieillissement, favorise les infections, stimule les cellules cancéreuses et pourrait même aggraver des maladies comme Alzheimer ou Parkinson.

En Occident, où l’on consomme régulièrement de la viande, du poisson et des céréales raffinées, le manque réel de fer est rare.

Alors pourquoi autant de diagnostics d’anémie ?

Parce que, une fois de plus, notre mode de vie complique l’absorption du fer :

  • Le calcium contenu dans les produits laitiers bloque son assimilation ;
  • Le café et le thé, très populaires après les repas, font de même ;
  • Et certaines céréales complètes et légumineuses contiennent des antinutriments comme l’acide phytique qui piègent le fer.

Bref, ce n’est pas que vous ne consommez pas assez de fer, c’est surtout que vous ne l’absorbez pas bien.

Alors, que fer ?

Si vous cumulez plusieurs des symptômes que j’ai évoqués plus haut dans cette lettre, je vous renouvelle mon conseil d’effectuer une NFS.

Pour le reste, les cinq conseils suivants devraient vous aider à la fois à avoir des apports en fer suffisants, et surtout à bien l’absorber :

  1. Variez votre assiette avec des protéines animales (viande rouge, abats, poissons gras), légumes à feuilles vertes, légumineuses et céréales complètes.
  2. Ajoutez de la vitamine C aux repas riches en fer (citron, poivron, fraise) pour en favoriser l’absorption.
  3. Attention aux interactions : thé, café et certains médicaments (inhibiteurs de la pompe à protons) réduisent l’absorption du fer.
  4. Surveillez votre flore intestinale : les probiotiques et une digestion régulière facilitent l’absorption des nutriments.
  5. Hydratation et activité physique : rester actifs stimule la moelle osseuse. Quelques promenades quotidiennes font la différence.

Portez-vous bien,
Rodolphe


[1] https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC10465717 – « Prevalence, years lived with disability, and trends in anaemia burden by severity and cause, 1990-2021 : findings from the Global Burden of Dease Study 2021 », in. Lancet Haematol, juillet 2023

[2] https://www.nytimes.com/2025/06/28/health/anemia-intravenous-iron.html – Paula Span, « Maybe it’s not just aging. Maybe it’s anemia », in. The New York Times, 28 juin 2025

[3] https://www.ghpso.fr/Ressources/FCK/RECOMMANDATIONS%20%20an%C3%A9mie%20sujet%20%C3%A2g%C3%A9%20060323.pdf – « Exploration de l’anémie chez le sujet âgé », GHPSO, mars 2023

[4] https://pdf.sciencedirectassets.com/282612/1-s2.0-S1268603418X00024/1-s2.0-S1268603418300112/am.pdf – Abrar-Ahmad Zulfiqar, Xavier Sui Seng, Nadir Kadri et al., « L’anémie chez la personne âgée », Département de médecine interne-gériatrie thérapeutique, Hôpital Saint-Julien, CHU de Rouen

[5] Morris CC. « Pediatric iron poisonings in the United States », in. South Med J., avril 2000 ;93(4):352-8