Chers amis,

Voyez cette statue :

Située sur l’île de Ven en Suède, elle représente Tycho Brahe.

À son accoutrement, vous pouvez deviner que cet homme a vécu au XVIe siècle. Et de son visage tourné vers le ciel, peut-être tirez-vous la conclusion qu’il s’intéressait aux étoiles.

Et, effectivement, Tycho Brahe est passé à la postérité pour avoir révolutionné l’astronomie.

Son rôle dans l’histoire des sciences est d’autant plus remarquable qu’il a fait cette révolution… sans aucun instrument : il n’observait pas le firmament à travers un télescope, mais à l’œil nu.

C’est à l’œil nu qu’il a, le premier, prouvé qu’Aristote, qui croyait à la fixité immuable des astres, avait tort.

Autrement dit, Tycho Brahe a démontré que ce que l’on croyait savoir de la voûte céleste depuis presque vingt siècles… était erroné.

Cet astronome de génie, qui a passé son existence à scruter l’infini du ciel et battu en brèche des enseignements vieux de deux millénaires, est pourtant mort de la plus terre à terre des façons.

Il est mort… pour s’être trop longtemps retenu de faire pipi.

« Je ne veux pas mourir comme Tycho Brahe »

Ce grand savant danois reçut, de son vivant, de prestigieuses marques de considération.

C’est l’une d’elles qui allait lui coûter la vie : invité à Prague par l’empereur Rodolphe II à voyager en carrosse avec lui, Tycho Brahe fut si honoré… qu’il n’osa pas demander à stopper l’impérial carrosse pour faire une pause pipi !

Imaginer cet immense savant se retenir douloureusement de soulager sa vessie par crainte de déroger à l’étiquette impériale pourrait prêter à sourire si ce long voyage en carrosse n’avait eu pour conséquence une urémie fatale.

Tycho Brahe s’était si longtemps retenu d’uriner que son taux d’urée dans le sang (je vais revenir d’ici quelques instants sur ce point) avait atteint un point de non-retour ; autrement dit, il est mort empoisonné par ses propres déchets organiques.

Cet épisode a tellement marqué les esprits pragois que l’expression « je ne veux pas mourir comme Tycho Brahe » est passée dans le langage courant tchèque – et signifie, évidemment, qu’on a une envie pressante à soulager[1] !

Pourquoi se retenir de faire pipi est une très mauvaise idée

L’incident qui a coûté la vie à Tycho Brahe est certes exceptionnel, mais il illustre une réalité à ne pas sous-estimer : les situations où les convenances sociales sont si fortes qu’elles vous empêchent de subvenir à un besoin physiologique vital peuvent avoir une incidence sur votre santé.

Cela commence dès l’enfance, où l’écolier peut avoir peur, ou honte, d’interrompre le cours pour demander à aller aux toilettes.

Et ça peut se poursuivre durant la vie adulte où, en pleine réunion ou lors d’un entretien d’embauche, vous vous retenez de vous rendre au petit coin pour ne pas vous « faire afficher » en pleine discussion sérieuse.

Il existe un autre symptôme plus vicieux, qui touche particulièrement les hommes lorsqu’ils doivent uriner dans un urinoir public, donc en présence d’autres gens : ça ne sort pas !

Ce blocage, provoqué par une sorte de timidité, peut s’apparenter à une forme de constipation urinaire.

Les problèmes commencent quand ce type de situation (se retenir volontairement d’aller uriner, ou être « bloqué » au moment où l’on se rend aux WC) devient chronique.

Uriner est une action physiologique si banale que l’on en oublie presque sa fonction essentielle : évacuer les déchets de l’organisme.

Avant de finir dans la cuvette des toilettes, l’urine est sécrétée par vos reins, qui ont pour fonction de filtrer le sang.

Lorsque cette opération est compromise – c’est le cas des personnes souffrant d’insuffisance rénale – ces déchets toxiques restent dans le sang, voire y retournent.

C’est pourquoi une fonction rénale gravement compromise peut, sans dialyse (filtration médicale des déchets du sang), conduire à la mort par auto-empoisonnement.

Ce que l’on sait moins, c’est que rester trop longtemps avec une vessie pleine peut non seulement conduire à une urémie – à l’image de ce pauvre Tycho Brahe – c’est-à-dire à ce que les substances toxiques censées être évacuées par l’urine demeurent dans l’organisme et vous empoisonnent peu à peu ; mais aussi à certains cancers.

Bouillon de culture cancéreux

Parmi les substances nocives que l’urine a pour mission de débarrasser notre organisme, se trouvent en effet des substances cancérigènes.

Il n’y a là rien de dangereux… tant que ces substances sont régulièrement évacuées.

Faute de miction régulière, ces substances restent en contact prolongé avec les muqueuses, augmentant mécaniquement le risque de cancer (de la vessie, notamment).

Ce lien de cause à effet a été démontré par des chercheurs italiens en 2007 : ils ont analysé la composition des urines matinales de 300 participants après une nuit de sommeil.

Les participants qui avaient, la veille au soir, consommé des repas particulièrement riches et/ou cuits (et inhalé les fumées qui vont avec) avaient dans leurs urines un taux important de substances favorisant la survenue d’un cancer de la vessie[2].

L’urine, on le savait déjà, ne filtre pas seulement les déchets ingérés par l’alimentation, mais aussi par la respiration et notamment le tabagisme ; mais c’était la première fois que l’on prouvait que des repas riches en protéines cuites à haute température dans la friture, avec les parties noircies et la fumée, pouvaient avoir le même impact que le tabac… aggravé par la « réserve » de ces substances durant tout une nuit dans la vessie !

3 conseils

3 conseils me paraissent naturellement découler (sans jeu de mots) de tout ce qui précède.

1. Faites des repas « riches » le matin ou à midi – pas le soir

Les urines stagnant dans la vessie la nuit, il vaut mieux que celle-ci soit la moins concentrée en substances cancérigènes possible : ce qui renforce le conseil, que je vous ai déjà donné par ailleurs, de ne pas faire de repas « chargés » le soir (ou alors exceptionnellement).

Cela peut se traduire – c’est l’idéal – par un jeûne de 12 ou 13 heures qui consiste à sauter le dîner ou bien, plus modestement, à dîner vraiment très léger, afin de réserver la consommation d’aliments riches le matin (ce qui est de toute façon plus intéressant pour votre métabolisme et votre énergie durant la journée) ou à midi.

2. N’attendez pas pour uriner

Dès que vous ressentez l’envie d’uriner, n’attendez pas : vous réduisez le risque de voir stagner dans votre vessie et de prolonger le contact de vos muqueuses avec les substances qui doivent être évacuées.

La capacité normale d’une vessie varie entre 250 ml à ½ litre : c’est l’équivalent d’une petite bouteille d’eau !

Or l’envie d’uriner se fait sentir dès que la moitié de la bouteille est remplie – ce qui en principe permet d’empêcher toute stagnation… si toutefois on n’attend pas trop longtemps !

3. Buvez beaucoup

Le dernier conseil est encore plus simple : n’attendez pas d’avoir soif pour boire – de l’eau, je précise.

De cette façon, vous soulagez la teneur de votre urine en substances toxiques, qui sont alors diluées dans davantage de liquides.

Ce conseil est particulièrement à observer quand vous mangez riche, et quand vous buvez de l’alcool : plus vous consommez de protéines et d’alcool, plus vous avez intérêt à ce que les composés indésirables soient éliminés de façon fluide dans vos urines.

Bien sûr, cela vous donnera davantage envie d’aller aux toilettes… mais vous garantira une évacuation plus rapide et plus efficace de ces substances.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

[1] Arnaud Devillard, « D’où vient l’expression « Je ne veux pas mourir comme Tycho Brahe », un célèbre astronome danois ? », Sciences et Avenir, octobre 2019, https://www.sciencesetavenir.fr/decryptage/je-ne-veux-pas-mourir-comme-tycho-brahe_33797

[2] Pavanello, Sofia et al. “Mutagenic activity of overnight urine from healthy non-smoking subjects.” Environmental and molecular mutagenesis vol. 48,2 (2007): 143-50. doi:10.1002/em.20277 https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/em.20277