Le toucher, un médecin oublié

 Chers amis,

Vous, moi, sommes très profondément des êtres tactiles.

Les « gestes barrière » que nous sommes censés observer depuis bientôt deux ans, nous ont (pour certains) refait prendre conscience, par sa mise au ban, de l’importance du sens du toucher dans nos relations aux autres.

Il n’est pas inattendu que, même en période épidémique, ces fameux gestes barrière se relâchent : ils sont tout simplement contre-nature.

Non seulement ils nous demandent un effort allant à l’encontre de notre mouvement premier – serrer la main à un ami, embrasser un parent, prendre dans nos bras un enfant – mais ils nous privent d’un moyen spontané de communiquer, de nous lier, et surtout d’un médicament méconnu.

Les lois du toucher

La vertu thérapeutique du toucher fut au centre du travail du psychothérapeute néerlandais Frans Veldman qui inventa le terme d’haptonomie

Le mot haptonomie est formé de racines grecques signifiant « les lois du toucher » : Frans Veldman désigne d’abord par là un « contact tactile visant à rendre sain et entier »[1].

Le toucher est, dit-il, un mode de communication, un mode de relation aux autres qu’il qualifie de psychotactile, et reposant sur la bienveillance et, partant, un outil de soin.

L’haptonomie est surtout connue, aujourd’hui, pour son application aux relations parents/enfants avant et après la naissance.

Nous savons que le contact physique, peau à peau, d’un nouveau-né avec ses parents, est d’une importance capitale pour le remettre du choc de la naissance, et lui apprendre qu’il est là, protégé et entouré par des êtres dégageant chaleur humaine et amour.

Mes trois enfants, quand ils sont nés, ont pu jouir immédiatement de ce contact avec leur mère, avant toute la batterie d’examens classiques, ce qui les calma instantanément.

Et je me rappelle, encore ému, de la façon dont ils dormaient sur moi, peau à peau, quelques heures à quelques jours après leur naissance.

Ce besoin vital de contact, le bébé (pour lequel le toucher est le sens dominant au début de sa vie) le conserve bien après la naissance, et la façon dont ce besoin est reconnu et comblé joue un rôle très important dans l’équilibre, la croissance et la santé de l’enfant.  

La confirmation affective

En réalité nous conservons ce besoin toute notre vie, même si en grandissant nous sommes davantage capables de nous en passer – heureusement !

L’haptonomie, dans le sillage de Frans Veldman et de Françoise Dolto, donne lieu à plusieurs domaines d’application thérapeutique s’adressant à tous les publics, de l’enfant à la personne âgée, et dans lequel le toucher respectueux a pour mission de sécuriser le patient.

Auprès des gens que nous aimons, ou même simplement estimons, le toucher agit comme une confirmation affective : le contact physique, une fois de plus respectueux, nous « confirme » que nous sommes aimé et/ou estimé en retour, en toute bienveillance.

C’est un mécanisme enfoui en plus profond de notre cerveau, et qui agit malgré nous. C’est même une technique de mise en confiance, voire de conviction, bien documentée.

Cette technique consiste à entrer en contact physique, quelques secondes, avec son interlocuteur.

L’utiliser permettrait d’avoir plus de chances d’obtenir une réponse positive que lors d’une conversation dans laquelle on ne toucherait pas la personne. Plusieurs expériences ont confirmé son efficacité.

En 1977, une étude[2] a ainsi démontré que les personnes touchées quelques secondes à l’avant-bras par leur interlocuteur sont bien plus réceptives.

L’expérience consistait à laisser des pièces de monnaie dans une cabine téléphonique. L’enquêteur se postait quelques mètres plus loin. Une personne entrait alors dans la cabine téléphonique. Une fois qu’elle sortait, l’enquêteur s’approchait et lui demandait si elle avait trouvé des pièces de monnaie dans la cabine.

Les personnes étaient seulement 63 % à restituer l’argent si l’enquêteur ne leur touchait pas le bras. Mais si l’enquêteur leur touchait quelques secondes l’avant-bras, elles étaient 93 % à restituer l’argent !

Le toucher qui soigne

Au-delà de la « mise en confiance » permise par un contact respectueux, le toucher est un outil thérapeutique passionnant, beaucoup utilisé par certaines médecines traditionnelles.

Je pense notamment au shiatsu japonais, qui a lui-même pour ancêtre l’Anma – mot signifiant « calmer par le toucher » et qui par sa rencontre avec le tuina de la médecine traditionnelle chinoise, a donné lieu à une vaste science de techniques de massages.

Ces techniques se basent sur des méridiens et des points d’acupuncture et peuvent avoir des effets spectaculaires. Michel Odoul forme à cette passionnante pratique au sein de l’Institut français de shiatsu[3].

Plus « récemment », Dolorès Krieger, professeur à l’Université de New York, mit au point dans les années 1970 le toucher thérapeutique, une pratique énergétique ressemblant à l’antique « apposition des mains ».

Cependant, malgré son nom, ce contact n’est pas nécessairement tactile : il consiste souvent à garder ses mains à une dizaine de centimètres du patient durant 10 à 30 minutes. Le but de l’intervenant est de réharmoniser le champ énergétique du patient en projetant pensées, sons ou couleurs.

Plusieurs recherches ont confirmé que cette technique permettait de diminuer l’anxiété, la douleur (notamment après les interventions chirurgicales[4]), ou encore en accompagnement d’une chimiothérapie[5].

Aujourd’hui, aux États-Unis, elle est utilisée dans de nombreux hôpitaux et universités.

Cependant, nul besoin de traverser l’océan ni même de vous rendre chez un thérapeute pour jouir des bienfaits du toucher : c’est un soin gratuit quand on a la chance d’être entouré de personnes aimantes, et qui profite d’ailleurs à tous ceux qui y recourent.

Voici comment. Vous allez voir, c’est tout simple… et naturel.

Ocytocine mon amour

Pour vous l’expliquer, je reviens un court instant sur les vertus apaisantes du contact du nouveau-né avec sa maman.

Vous le savez peut-être, mais cet effet est en partie dû à la sécrétion d’une hormone particulière, l’ocytocine, que l’on appelle d’ailleurs l’hormone de l’amour.

Or cette hormone n’est pas l’apanage de la maternité (c’est l’hormone qui favorise les contractions utérines pendant l’accouchement) : c’est l’hormone de l’amour toutes catégories, qui favorise l’attachement et le plaisir.

Grâce à l’ocytocine, on se sent plus aimé. Plus détendu. Plus heureux, tout simplement. L’ocytocine entre par ailleurs en conflit avec la perception de la douleur.

C’est une hormone aux effets magiques, mais qui n’a rien de magique : nous la sécrétons naturellement… dans certaines conditions.

La plus connue, après la maternité, est évidemment le fait de faire l’amour – mais si nous ne sécrétions de l’ocytocine qu’au moment de faire un enfant, la vie serait quand même triste !

Un premier moyen tout simple, c’est la caresse. Je parle bien d’une caresse toute simple, sans arrière-pensée sexuelle. Il y a même une recette de la « caresse idéale ».

L’équipe d’Hakan Olausson de l’université de Göteborg a découvert un type de terminaisons nerveuses spécifiquement dédiées au contact avec l’autre.

Situées dans les zones pileuses, le dos et les avant-bras, ces « fibres du toucher-caresse » appelées nerfs CT envoient leurs signaux électriques en direction de l’insula postérieure, une petite région du cerveau essentielle au déclenchement des émotions positives[6].

Quand ces fibres sont stimulées par une caresse, elles font naître une sensation de plaisir diffus.

Les chercheurs ont découvert que la caresse idéale est effectuée à une vitesse de plus ou moins 2,5 cm par seconde, avec une pression modérée et par une main affichant une température équivalente à celle du corps caressé, soit entre 32 et 34 degrés.

Le petit miracle de l’étreinte

Un autre moyen, peut-être encore plus simple car nous pouvons nous le permettre avec tous les membres de notre famille, tous nos amis, sans que cela soit équivoque, c’est l’étreinte.

Davantage généralisée outre-Atlantique – quoique la crise sanitaire, là-bas aussi, a dû lui mettre du plomb dans l’aile – l’étreinte, appelée là-bas « hug », a des bienfaits extraordinaires.

Vous avez dû remarquer la mode (terrassée par la crise du Covid) des « free hugs », c’est-à-dire des « câlins gratuits ».

Cette brève intimité physique, qu’elle prenne la forme d’une simple accolade ou d’un serrement plus intense, s’est révélée dans des études diminuer le stress, la fréquence cardiaque et la pression artérielle[7].  

D’après les auteurs de cette étude, l’efficacité optimale d’un câlin entre deux partenaires serait obtenue par une étreinte de 20 secondes.

Vous savez ce qu’il vous reste à faire !

Portez-vous bien ! Et bons câlins !

Rodolphe

Sources :

[1] Veldman F (1989). Haptonomie : Science de l’affectivité. Traduit du néerlandais par Paul Scheurer PUF, « Hors collection ». ISBN 2-13-042375-2.

[2] Kleinke C L (1977). Compliance to requests made by gazing and touching experimenters in field settings. Journal of Experimental Social Psychology 13(3), 218-223. https://doi.org/10.1016/0022-1031(77)90044-0. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0022103177900440

[3] IFS, Institut français de Shiatsu. https://www.shiatsu-institut.fr/

[4] Meehan T C (1993). Therapeutic touch and postoperative pain: a Rogerian research study. Nurs Sci Q. 6(2):69-78. doi: 10.1177/089431849300600206

[5] Aghabati N, Mohammadi E, Pour Esmaiel Z. (2010). The Effect of Therapeutic Touch on Pain and Fatigue of Cancer Patients Undergoing Chemotherapy. Evid Based Complement Alternat Med. 7(3):375-81. doi: 10.1093/ecam/nen006

[6] Olausson H, Lamarre Y, Backlund H, et al. (2002). Unmyelinated tactile afferents signal touch and project to insular cortex. Nature Neuroscience 5(9):900-4. doi: 10.1038/nn896

[7] Grewen KM, Anderson BJ, Girdler SS, Light KC. (2003). Warm partner contact is related to lower cardiovascular reactivity. Behav Med. Fall;29(3):123-30. doi: 10.1080/08964280309596065.