(Proverbe arabe)

Chers amis,

Avant que le Covid-19 ne mette nos vies sens dessus-dessous, je vous parlais d’une étude commencée il y a 72 ans et qui dure encore : l’étude de Framingham.

Ce projet scientifique a mis en lumière le rôle de l’alimentation et des habitudes de vie (l’activité physique, le tabagisme) dans la santé cardio-vasculaire. Vous pouvez relire la lettre que je lui avais consacré ici.

Cette même étude a permis de lever le voile sur un phénomène très intéressant dont j’aimerais vous parler : la « contagion des habitudes de vie ».

Un demi-siècle de relations sociales

Tous les deux ans, les volontaires qui participent à l’étude de Framingham mesurent leur pression artérielle, leur rythme cardiaque, leur poids, les activités physiques éventuelles qu’ils pratiquent, leurs relations familiales et émotionnelles, leur rapport au tabac, à l’alcool, etc.

Les informations qui en ressortent sont archivées.

Au début des années 2000, plus de 50 ans après le début de l’étude, des chercheurs de Harvard ont épluché les dizaines de milliers de fiches sur lesquelles les participants indiquaient non seulement les noms des membres de leur famille (époux ou épouse, frères et sœurs, parents et enfants) mais aussi de leurs relations sociales (amis, collègues de travail…).

Ce qu’ils ont découvert est captivant.

Les réseaux invisibles des habitudes de vie

Les chercheurs de Harvard se sont rendu compte que les « profils » se regroupaient systématiquement[1]. En d’autres termes :

  • Les fumeurs fréquentaient les fumeurs.
  • Les personnes en surpoids fréquentaient des personnes en surpoids.
  • Les alcooliques fréquentaient des alcooliques.
  • Les gens se déclarant heureux fréquentaient d’autres personnes partageant cette satisfaction.
  • À l’inverse, des personnes tristes et dépressives fréquentaient des personnes tout aussi tristes et dépressives.

Qu’un fumeur fréquente une proportion plus importante de fumeurs, voilà une corrélation qui nous paraît logique.

Mais que des personnes obèses aient beaucoup de gens obèses dans leur entourage, et des gens heureux beaucoup plus de gens heureux, voilà qui est saisissant.

Fréquenter des gens heureux, ça rend heureux

Les questions qui en découlent seraient de ce type :

  • Avons-nous beaucoup plus de chances d’être portés sur la bouteille si nos amis, ou nos parents, boivent déjà régulièrement ?
  • Est-ce parce qu’on fréquente des fumeurs que l’on va commencer à fumer ? Parce qu’on fume déjà qu’on va être plus spontanément attiré par des fumeurs ?

Les auteurs de l’étude, Nicholas Christakis et James Fowler, ont clarifié le mécanisme : les gens qui se fréquentent se mettent, peu à peu, à se ressembler (plutôt que « si on se ressemble, on va être amenés à se fréquenter »).

C’est cela, la « contagion sociale ». Des habitudes de vie qui se propagent par mimétisme, ou par influence, dans des réseaux de populations.

Imaginez l’impact sur la quête de bonheur par exemple : la meilleure façon de l’atteindre… serait de fréquenter des gens heureux !!

Attention, ça marche pour les bonnes caractéristiques comme pour les mauvaises…

Par exemple le risque de voir son indice de masse corporelle augmenter serait de 57 % plus élevé lorsque l’un de vos proches a pris du poids au cours de l’année précédente[2].

Selon les auteurs, quelle que soit la caractéristique dont on parle (tabagisme, alcoolisme, sentiment de bonheur, etc.), plus l’on est proche d’une personne dotée de cette caractéristique, plus notre risque – ou notre chance – d’être « contaminé » est fort

Sommes-nous condamnés à la « contagion sociale » ?

On pourrait tirer de ces recherches des conclusions assez démoralisantes : notre personnalité, notre libre-arbitre, ne vaudraient rien face à la « contagion sociale » – toute puissante – du réseau familial, du réseau d’amis ou du réseau de collègues dont nous faisons partie.

Les scènes de ruées dans les rayons pâtes et riz des supermarchés au début du confinement nous en ont offert dernièrement une preuve éclatante !

Mais ça marche dans les deux sens, insistent les auteurs de Harvard.

Car la contagion sociale, nous pouvons l’initier individuellement. Autrement dit, nous pouvons, à l’échelle de notre réseau, diffuser de bonnes habitudes de vie, ou « rayonner » d’un état d’esprit positif.

J’ai un minuscule exemple de cela me concernant, dont j’espère que vous ne le trouverez pas immodeste :

Personne dans mon entourage, je dis bien personne, ne buvait de thé matcha avant que je n’en ramène du Japon.

Je n’ai forcé personne à en boire ! Mais en m’en préparant, des amis, des collègues, ont été intrigués. Ils ont demandé à en goûter. Certains n’ont pas aimé. La plupart si. À présent ils sont plusieurs à en boire régulièrement.

La dernière fois que je me suis rendu chez la naturopathe Anne Portier, en mars, elle-même m’a montré fièrement le thé matcha qu’elle avait acheté… depuis que je lui en avais préparé un la dernière fois que nous nous étions vus !

Lancez le mouvement !

Cela prouve une chose : en termes de santé, nos choix ne sont pas uniquement individuels, ils sont sociaux.

Et donc vous pouvez vous aussi, à votre échelle, « lancer » des habitudes que vous jugez saines et bonnes, sans même essayer de convaincre, simplement en la pratiquant régulièrement.

Le jeûne il y a quelques années était regardé comme une lubie de fanatiques inconscients. C’est aujourd’hui devenu une habitude santé reconnue et répandue, à la fois grâce aux travaux scientifiques remarquables qui en ont démontré les bienfaits (ceux du Professeur Valter Longo notamment), mais aussi par contagion sociale.

Tout simplement, celles et ceux qui ont essayé de jeûner ont pu attester de l’amélioration de leur santé qu’ils en retiraient : ils retrouvaient un haut niveau d’énergie et tombaient beaucoup moins malades.

Essayez donc vos bonnes pratiques de santé, et surtout tenez bon. Vous verrez, vous lancerez peut-être un mouvement sans même le vouloir…

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] CHRISTAKIS N. A. et Fowler J.H., Connected : The Surprising Power of Our Social Network and How They Shape Our Lives, Boston,éd. Little, Brown and Company, 2009.

[2] MOUSSAID Mehdi, Fouloscopie, Humen sciences, Paris, 2019, p.159