Chers amis,

Vous connaissez le proverbe : « Les cordonniers sont les plus mal chaussés ».

Adapté aux médecins, on pourrait écrire qu’ils sont les plus mal soignés.

Mais non : ils sont en réalité les plus mal médicamentés.

Et la nuance est considérable.

Les médecins et leurs familles suivent moins que les autres les directives sur les médicaments !

Pour une fois, je vais vous parler d’une étude effectuée par des… économistes.

Quatre d’entre eux, issus des universités de Harvard et de Stanford, ont en effet publié au début de ce mois de décembre 2022 les surprenants résultats d’une étude menée sur le respect des directives des médicaments en Suède dans la revue American Economic Review.

Les « directives » sur les médicaments concernent leurs usages, leurs indications et leurs mises en garde : par exemple, le fait qu’une femme enceinte devrait éviter de prendre des antidépresseurs ; ou que le recours à tel ou tel antibiotique devrait être limité à telle infection.

Pour mener leurs travaux, ils ont examiné les données administratives de la Suède au sujet de 63 médicaments délivrés sur ordonnance : l’étude a impliqué près de 6 millions de Suédois, parmi lesquels on comptait environ 150 000 médecins ou leurs proches.

En exploitant des informations sur les achats de médicaments sur ordonnance, les visites à l’hôpital et les diagnostics, les chercheurs ont pu voir si les patients respectaient les directives sur les médicaments : ils ont comparé l’usage fait de médicaments sur ordonnance à la situation médicale de ces patients.

On pourrait s’attendre à ce que les médecins et leurs proches parents soient les plus scrupuleux quant à l’observation de ces directives.

Or, ce qu’ont découvert les chercheurs, c’est précisément l’inverse : les médecins et leurs familles observent nettement moins que la population générale ces fameuses directives[1].

Puisque nous sortons d’une Coupe du monde, permettez-moi cette comparaison : c’est comme si, lorsqu’ils jouaient eux-mêmes un match, les arbitres s’affranchissaient plus volontiers que les autres joueurs des règles du football !

Pourquoi une telle différence ?

À ce stade, les auteurs de l’étude en sont réduits à des conjectures pour tenter de trouver l’explication d’une telle différence.

La première chose, c’est que le rapport entre l’observation ou non des directives n’a aucun lien avec le statut social ou économique des médecins.

Souvent en économie, on constate un rapport entre le revenu et la conformité aux règles.

Mais ici, c’est bien le statut de médecin qui semble déterminer la faible observance des directives des médicaments.

Ensuite, la tendance dans le non-suivi de ces directives n’est pas non plus liée à la santé du médecin (ou de ses proches) : cet affranchissement des règles concerne aussi bien la prise de médicaments hors de leur indication supposée, que l’absence de prise de médicaments qu’ils seraient censés prendre.

Pour expliquer ce mystère, les auteurs font alors le pari de deux autres hypothèses, à la fois humaines et… dérangeantes.

Patient d’abord, médecin ensuite

D’après les auteurs, il y a en effet deux raisons beaucoup plus probables pour lesquelles les médecins n’appliquent pas pour eux-mêmes (ou leurs proches parents) les directives médicamenteuses que le reste de la population observe avec discipline.

La première, c’est la différence entre l’intérêt sanitaire général, et l’intérêt du médecin en tant que patient.

Le cas des antibiotiques est particulièrement éloquent : vous avez comme moi entendu, durant des années, le mantra « les antibiotiques, c’est pas automatique. »

Ce refrain ne vient pas de nulle part : l’usage généralisé des antibiotiques à large spectre a conduit au développement d’une antibiorésistance bactérienne qui rend les médicaments moins efficaces.

En gros, plus on utilise d’antibiotiques dans la population générale, moins ils fonctionnent, car les pathogènes s’adaptent.

Traduction dans les directives des médicaments : cesser le recours en première intention de ces antibiotiques à large spectre, et y préférer les antibiotiques plus ciblés, dits « à spectre étroit ».

C’est, observent les auteurs de l’étude, ce que les médecins appliquent à leurs patients… mais pas à eux-mêmes ou aux membres de leur famille lorsqu’ils tombent malades : ils recourent plus volontiers, eux, directement, aux antibiotiques à large spectre.

Autrement dit : lorsque les médecins ou des membres de leur famille tombent malades, ils font un choix faisant passer leur propre intérêt en tant que patient avant l’intérêt sanitaire général.

C’est après tout humain.

Mais cela nous conduit à la seconde hypothèse, plus dérangeante.

Si les médecins ne suivent pas les règles… c’est parce qu’ils savent qu’elles ne sont pas toujours bonnes

Outre leur intérêt en tant qu’individus, si les médecins ne suivent pas scrupuleusement les directives sur les médicaments c’est, supposent les économistes, parce qu’ils en savent plus que la population générale.

Et il y a un domaine dans lequel ce « savoir » supérieur à celui de la population générale fait une différence notable : celui des effets secondaires.

L’expérience, mais aussi les connaissances spécialisées des médecins, les invitent à nuancer les risques affichés de certains médicaments : ils savent que certains de ces risques sont surestimés… et d’autres sous-estimés.

Cela concerne par exemple, dans l’étude, les mises en garde concernant les femmes enceintes : les médecins prescrivent à leurs proches certains des médicaments déconseillés pendant une grossesse parce qu’ils savent que le risque est en réalité faible.

L’histoire récente nous donne un exemple dans l’autre sens avec les injections anti-Covid : je connais, à titre personnel, un nombre non-négligeable de médecins qui ont reçu une ou plusieurs doses… sur le papier uniquement, parce qu’ils sont parfaitement conscients des risques associés à ces produits expérimentaux.

Cela peut paraître malhonnête de leur part – surtout si l’on compare leurs cas aux soignants qui ont été suspendus parce qu’ils refusaient frontalement de se faire injecter ces produits – mais c’est un cas exemplaire de « directive médicamenteuse » non suivie par les médecins parce qu’ils en savent plus long que leurs patients. 

Cela leur a permis de continuer à exercer, sans mettre leur santé en danger.

On peut juger leur conduite hypocrite ; j’y vois plutôt, pour ma part, une réaction de survie de la part d’« initiés » aux erreurs et aux abus de la médecine conventionnelle.

Bref, si l’on s’en tient aux directives officielles, les médecins sont en effet les plus mal médicamentés.

Mais c’est la raison pour laquelle ils sont peut-être, au final, bel et bien les mieux soignés.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

[1] Finkelstein, Amy, Petra Persson, Maria Polyakova et Jesse M. Shapiro. »A Taste of Their Own Medicine: Guideline Adherence and Access to Expertise », American Economic Review: Insights, 2022, 4(4):507-26