Comment l’effet placébo a « forcé » les scientifiques à s’intéresser au lien entre émotions et guérison

Chers amis,                                                                                           

Dans mon dernier message consacré aux liens émotions et santé, je vous racontais comment des traumatismes ont engendré la cécité de patients dont les yeux et le cerveau sont pourtant en parfait état.

C’est une illustration « extrême » des liens étroits entre nos émotions et nos maladies. Je vous en donnerai bientôt un autre.

Mais quand on parle de maladie, on parle également de guérison… et de douleur.

À mes interlocuteurs qui nient ce lien capital entre les émotions et la douleur, je parle en premier lieu de l’effet placebo.

« Oui mais l’effet placebo, ce n’est pas scientifique justement ! »

Au contraire. L’effet placebo est désormais une réalité non seulement avérée, mais très bien comprise par les scientifiques.

Le bisou qui fait du bien, de la chute à vélo… au cabinet du généraliste

J’ai trois enfants, âgés de deux à dix ans, et je peux vous dire que l’effet placebo marche à merveille dès le plus jeune âge.

Après une chute à vélo, un baiser magique calme aussitôt les pleurs et la douleur provoquée par le choc.

Un simple verre de grenadine est capable de calmer la toux.

Pour beaucoup, l’effet placebo repose intimement sur la croyance en l’efficacité d’un remède mais en fait… non !

Une étude de 2008 a révolutionné l’approche médicale du placebo.

Il arrive fréquemment que les médecins prescrivent des placebos à leur malade. Pour que le stratagème fonctionne, ils ne le disent pas à leurs patients. 

En 2008, dérangés par l’aspect non-éthique de ce procédé, des médecins américains prescrivant régulièrement des placebos ont souhaité le faire sans mentir à leurs patients.

Ils ont donc fait le pari de donner des placebos à des patients atteints du syndrome du côlon irritable en leur disant honnêtement : « je vous prescris un médicament placebo : il ne fait rien ». Et pour cause, la gélule ne contenait qu’un excipient inerte.

Au bout de 3 semaines, le groupe ayant reçu le placebo a vu son état s’améliorer significativement et de manière identique à d’autres médicaments utilisés pour ce trouble de santé : 59% des personnes étaient soulagées contre 35% sans traitement[1].

Cette étude a battu en brèche l’idée que l’efficacité du placebo dépendait de « l’ignorance intentionnelle ».

Elle a montré que l’efficacité du placebo ne dépend pas de la croyance du produit lui-même, ou au moins, pas complètement.

Ce qui explique aussi pourquoi l’effet placebo existe… chez l’animal, comme le cheval[2] !

Pour les chercheurs, l’effet placebo dans ces cas-là s’expliquerait par le fait que l’animal sent que l’on s’occupe de lui afin qu’il aille mieux, quoi que l’on fasse.

Ce qui se passe dans votre corps (et votre tête) quand vous prenez un placebo

Les neurosciences ont, ces toutes dernières années, enfin fait la lumière sur ce qui se passe sur le plan physiologique lorsque l’on prend un placebo.

La prise d’un placebo libère une certaine forme d’opioïdes, les endocannabinoïdes, qui lui donnent son pouvoir antalgique : ces substances, ainsi que quelques autres, activent dans notre organisme les systèmes chargés de l’inhibition de la douleur[3].

Ce qui est fascinant, on s’en rend compte avec les placebos, c’est que cette réaction physiologique n’est possible que grâce à la relation entre le patient et le thérapeute.

Le placebo « cristallise » à lui seul le rôle capital des attentes et des représentations du patient quant aux bienfaits attendus de son traitement.

Le fait d’aller voir un thérapeute dont on attend un soin, de recevoir de l’écoute et, in fine, un traitement, expliquent de manière déterminante l’efficacité de l’effet placebo[4].

C’est une découverte extrêmement déstabilisante car elle prouve que le contexte et la démarche thérapeutique comptent tout autant, sinon plus, que le traitement lui-même

Autrement dit, l’effet placebo est la traduction, en termes physiologiques, d’émotions et d’idées concentrées sur la guérison.

Or cette « traduction » n’est que la partie émergée de l’iceberg des relations étroites qu’entretiennent nos émotions d’une part et notre santé physique d’autre part.

N’hésitez pas à m’écrire en commentaire votre expérience du lien entre douleur et émotions.

À très vite,

Rodolphe Bacquet


[1] Kaptchuk TJ, Friedlander E, Kelley JM et al. ( 2010). Placebos without Deception: A Randomized Controlled Trial in Irritable Bowel Syndrome. PLoS ONE 5(12): e15591. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0015591

[2] Wilson DV, Berney CE, Peroni DL, et al. (2004). The effects of a single acupuncture treatment in horses with severe recurrent airway obstruction. Equine Vet J. 36(6):489-94.

[3] Benedetti F, Amanzio M, Rosato R, & Blanchard C. (2011). Nonopioid placebo analgesia is mediated by CB1 cannabinoid receptors. Nat Med. 17(10):1228-30. doi: 10.1038/nm.2435. PMID: 21963514. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21963514/

[4] Colloca, L. & Barsky, A. J. (2020). Placebo and Nocebo Effects. N Engl J Med 382:554-561

DOI: 10.1056/NEJMra1907805. https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMra1907805