Chers amis,

Dans un roman de Milan Kundera, l’écrivain tchèque estime que notre manière de mourir « imprime » sa marque sur le souvenir que l’on laisse de soi à la postérité.

(je vous avoue que je n’ai pas eu le courage de retrouver la citation exacte, ni même le roman en question ; si vous voyez duquel il s’agit, merci de l’indiquer en commentaire !)

Si cette manière de mourir est un tant soit peu cocasse, idiote, voire grotesque, quels que soient les grands accomplissements de votre vie… eh bien ces derniers peuvent être éclipsés par cette « péripétie » finale.

L’un des plus fameux exemples est celui du président français Félix Faure.

En dehors de quelques historiens spécialisés, plus personne ne se souvient de son action comme homme politique, ni de la nature de son mandat en tant que président de la IIIème République, à la fin du XIXème siècle.

Non, ce qui surnage de son souvenir – et à dire vrai l’unique raison pour laquelle il est passé à la postérité – c’est sa mort en plein « acte » d’adultère, dans les bras de sa maîtresse, au palais de l’Élysée.

Autre cas : celui de Tycho Brahe qui a révolutionné, au XVIème siècle, l’astronomie. Néanmoins, en Tchéquie – où il est mort – il surtout connu pour la façon dont il est passé de vie à trépas, à savoir en s’étant retenu trop longtemps de faire pipi.

« Je ne veux pas mourir comme Tycho Brahe » est en effet passé dans le langage courant tchèque, comme je vous l’écrivais dans une lettre sur ce sujet il y a deux ans et demi[1].

Il y a, aujourd’hui, de « nouvelles » façons bêtes de mourir.

Nouvelles façons absurdes de mourir

Les morts, disons, pittoresques de Felix Faure et Tycho Brahe étaient, hormis le contexte exceptionnel (Faure au palais de l’Élysée ; Tycho Brahe s’était retenu d’uriner car il avait été invité à monter dans le carrosse de l’empereur Rodolphe II), purement physiologiques

La grande nouveauté de notre époque, c’est la technologie et l’industrie.

Le « progrès » technologique industriel qui caractérise notre époque fait redoubler d’inventivité la Grande Faucheuse.

Le dernier exemple en date, recensé cette semaine dans la presse, est celui d’une femme de 65 ans étranglée par… la vitre automatique de sa voiture :

Cette dame était dehors en train de nettoyer son auto quand, en se penchant à l’intérieur pour activer le frein à main, elle aurait activé la commande de la vitre, qui l’a étranglée.

« Effroyable scénario », certes ; l’article parle de « circonstances tragiques »… mais on peut discuter ce dernier qualificatif, sauf à considérer l’arsenal électronique désormais omniprésent dans les objets du quotidien comme l’expression implacable du destin.

Le funeste destin de Madame Delmotte est exceptionnel.

D’autres morts impliquant la technologie sont – hélas – beaucoup plus fréquentes : ce sont celles liées à la fonction « selfie » des téléphones portables.

Des centaines de morts par « selfie »

Plusieurs sites[2][3] recensent les plus rocambolesques de ces morts d’autant plus absurdes qu’elles étaient évidemment évitables :

  • un chauffeur de camion népalais piétiné à mort par un troupeau de 21 éléphants sauvages : il s’était arrêté pour prendre des selfies alors qu’ils traversaient la route ;
  • deux jeunes Russes ont perdu la vie dans l’Oural en retirant la goupille d’une grenade pour prendre un selfie ;
  • Un motard italien qui s’était arrêté pour prendre des selfies avec une maman ourse et ses oursons en Roumanie a été tué par l’animal…

Ces morts idiotes ne sont pas des cas si isolés que cela.

A tel point qu’ils font l’objet d’études ! L’une d’entre elles, réalisée par des chercheurs indiens, a recensé plus de 400 décès « par selfie » depuis 2014[4].

Les jeunes chutent mortellement à cause de leurs téléphones, et les séniors à cause de leurs….

Les selfies font désormais plus de morts par an que les attaques de requin (!) [5] et le risque de mort par chute suite à un selfie fait très sérieusement partie des mises en garde de la fédération française de randonnée[6].

Car, hormis les cas exceptionnels que sont les troupeaux d’éléphants et les grenades dégoupillées, ce sont en effet des morts par chute que provoquent les téléphones en mode « selfie ».

Certaines sont spectaculaires, comme celle d’une Taïwanaise qui avait pour « marque de fabrique » de se prendre en photo en bikini en haut de montagnes – elle est morte en tombant dans un ravin en 2018[7] ; ou encore, l’an dernier, celle d’une gymnaste tchèque qui a chuté de 70 mètres en voulant se photographier devant le château de Neuschwanstein[8].

Le narcissisme, la technologie et les réseaux sociaux font mourir de plus en plus de jeunes de façon aussi épique que stupide.

Et chez les plus de 65 ans aussi, les morts par chute se sont multipliées ces dernières années.

Pourquoi ?

Certes pas à cause des smartphones et de la publication de « stories » sur Instagram.

On pointerait plus volontiers du doigt les sols glissants, les tapis roulants ou les escaliers.

Mais non : les principaux responsables, issus eux aussi de l’industrie, ce sont les médicaments.

3 fois plus de décès des suites d’une chute depuis 30 ans

En France, selon les chiffres officiels, les chutes des personnes âgées entraînent chaque année plus de 100 000 hospitalisations et plus de 10 000 décès[9].

Les chutes, on le sait rarement, sont la première cause de mort accidentelle chez les séniors[10].

La plupart du temps, ces chutes se produisent à la maison, ou dans l’environnement immédiat.

Ça commence souvent par un petit déséquilibre : un tapis mal fixé, un bord de trottoir mal négocié.

Et puis… c’est la chute.

Fracture, traumatisme crânien, perte d’autonomie. Et parfois, la fin d’une vie encore pleine de projets.

Vous pensez peut-être que ces accidents sont inévitables.

Que « tomber » fait partie du vieillissement. Qu’on n’y peut rien.

C’est faux.

Aux Etats-Unis, où ces décès augmentent également (en 2023, plus de 41 000 Américains de plus de 65 ans sont morts des suites d’une chute), le taux de mortalité a même TRIPLÉ en 30 ans chez les plus de 85 ans[11] !

Avec, donc, un premier coupable bel et bien identifié : les médicaments.

De plus en plus de personnes âgées prennent en effet des cocktails de médicaments affectant le cerveau et l’équilibre.

On les appelle les FRID (Fall Risk Increasing Drugs, « médicaments augmentant les risques de chutes »).

Benzodiazépines. Antidépresseurs. Gabapentine. Opioïdes. Antihypertenseurs. Antiarythmiques. Antidiabétiques.

Ces substances altèrent les réflexes, la vigilance, la coordination. Certaines augmentent le risque de chute de 50 à 75 %.

Les risques de chutes font nommément partie des effets secondaires répertoriés d’une tripotée de médicaments, comme l’enzulatamide, vendu sous le nom de Xtandi, massivement prescrit en traitement du cancer de la prostate[12].

Certains de ces médicaments augmentant les risques de chutes, comme les opioïdes ou les benzodiazépines, sont massivement prescrits, parfois pour des troubles bénins.

Le cercle vicieux de la dépendance

La chute est rarement un « simple accident ».

Elle est souvent le symptôme d’un corps affaibli, qui ne bouge pas assez, trop longtemps mis au repos, fragilisé par des traitements multiples et/ou mal ciblés.

Et après une chute, tout s’accélère :

  • Immobilisation
  • Douleurs
  • Perte d’autonomie
  • Médicaments supplémentaires…

Mais il y a un autre facteur clé, également souvent passé sous silence.

Un mal qui s’installe progressivement, discrètement mais sûrement, mais qu’il est possible d’inverser avec un peu de méthode et de bonne volonté.

Ce mal, c’est la sarcopénie.

Votre fauteuil peut être votre ennemi : faites-en votre allié

La sarcopénie est la perte progressive de masse et de force musculaire liée à l’âge.

C’est, je vous le disais, l’autre principal facteur de risque de chutes chez les personnes âgées.

Après 50 ans, nous perdons naturellement 1 à 2 % de notre masse musculaire chaque année.

Après 70 ans, cette perte s’accélère dramatiquement.

Conséquences :

  • On se relève moins facilement d’une position assise.
  • On monte les escaliers plus lentement.
  • On réagit moins vite en cas de déséquilibre.
  • Et surtout : on tombe plus souvent.

Le symbole du facteur aggravant de la sarcopénie, c’est votre fauteuil, qui incarne à lui seul la sédentarisation des plus de 65 ans.

A la retraite, beaucoup ont la tentation – la facilité – de passer leur vie tranquillement calé dans leur fauteuil, à lire, faire des mots croisés ou regarder la télé. C’est humain.

La perte de masse musculaire se creuse à la même vitesse que l’« empreinte » de votre fessier dans votre fauteuil.

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] https://alternatif-bien-etre.com/developpement-personnel/bien-etre/je-ne-veux-pas-mourir-comme-tycho-brahe/ – Rodolphe Bacquet, « Je ne veux pas mourir comme Tycho Brahe », site d’Alternatif Bien-Être, 15 janvier 2023

[2] https://www.espresso-jobs.com/conseils-carriere/actualites/top-10-des-morts-stupides-causees-par-le-selfie – Florence Tison, « Top 10 des morts stupides causées par le selfie », in. Espresso Jobs, 5 septembre 2023

[3] https://www.loeildelinfo.fr/2025/10/03/mourir-pour-un-selfie/ – Gilles Courtinat, « Mourir pour un selfie », in. L’œil de l’info, 3 octobre 2025

[4] https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4880988 – Abhishek Pandey, « Selfie Mortality Trends : a Global Analysis and Machine Learning Approach », in. SSRN, 3 juillet 2024

[5] https://www.europe1.fr/international/en-six-ans-les-selfies-ont-fait-plus-de-morts-que-les-requins-3770783 – Noémi Marois, « En six ans, les selfies ont fait plus de morts que… les requins », Europe 1, 4 octobre 2018

[6] https://www.ffrandonnee.fr/s-informer/actualites/gare-au-selfie-mortel-en-randonnee – « Gare au selfie mortel en randonnée ! », in. FF Randonnée, 30 août 2024

[7] https://www.bbc.com/news/world-asia-46955645 – « Gigi Wu : “Bikini hiker” dies on solo Taiwan climb despite search efforts », site de la BBC, 22 janvier 2019

[8] https://www.leparisien.fr/faits-divers/une-gymnaste-professionnelle-meurt-lors-dune-chute-de-70-m-en-randonnee-alors-quelle-voulait-prendre-un-selfie-28-08-2024-J7IJTBQNQBFZ7PZMUS7SEUSHPI.php – Maxime Poul, « Une gymnaste professionnelle meurt lors d’une chute de 70 mètres en randonnée, alors qu’elle voulait prendre un selfie », in. Le Parisien, 28 août 2024

[9] https://solidarites.gouv.fr/plan-antichute-des-personnes-agees – « Plan antichute des personnes âgées », site du Ministère du travail, de la santé, des solidarités, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées, 21 février 2022

[10] https://www.ifop.com/article/etude-sur-les-chutes-des-seniors – « Les chutes des seniors », site de l’IFOP, 1er décembre 2021

[11] https://www.nytimes.com/2025/09/07/health/falls-deaths-elderly-drugs.html – Paula Span, « Why are more Older People Dying After Falls ? », in. The New York Times, 7 septembre 2025

[12] Ibid