Chers amis,
Il y a quelques jours, j’ai assisté à un spectacle d’humoristes ; l’un d’entre eux a fait une blague sur le fait que les fumeurs préparaient leur cancer du poumon.
L’assistance a ri, disons, poliment.
Car cette blague n’est pas seulement éculée : elle est dépassée.
On associe encore le cancer du poumon à l’image d’un gros fumeur de Gitanes qu’entoure en permanence une brume de volutes bleutées.
Pourtant, la réalité change : un nombre croissant de personnes atteintes d’un cancer du poumon… n’a jamais touché de cigarette.
Comment expliquer ce phénomène ?
Le tabagisme diminue. Le cancer du poumon progresse.
En France, comme ailleurs en Occident, le tabagisme baisse régulièrement, en particulier depuis l’instauration des politiques anti-tabac musclées il y a vingt ans.
Le contraste est spectaculaire : en 1953, 72 % des hommes étaient des fumeurs quotidiens[1].
En 2023, c’était 25 %[2].
Le rapport de forces s’est donc complètement inversé en 70 ans.
Pourtant, l’incidence du cancer du poumon ne décroît pas.
Il reste, aujourd’hui en France comme presque partout dans le monde, le cancer responsable du plus grand nombre de morts chaque année[3].
Il n’est « que » le troisième le plus fréquent en France (après ceux de la prostate et du sein), mais son taux de survie, à cinq ans, n’est que de 20 %.
Les valeurs restent excessivement élevées.
En 2023, on diagnostiquait plus de 52 000 nouveaux cas de cancer du poumon en France, et on enregistrait plus de 30 000 décès liés à ce cancer[4].
Comment expliquer cette incidence du cancer du poumon malgré la réduction spectaculaire du tabagisme ?
Le sexe, l’âge et le vapotage (mais ça ne suffit pas)
Il y a, d’abord, les femmes.
Alors qu’elles n’étaient que 15 % à fumer dans les années 1950, elles sont aujourd’hui plus de 20 % ; ça peut paraître faible comme augmentation, mais celle-ci s’est faite de façon continue et à rebours complet de la tendance masculine, et ce d’autant plus qu’elles ont tendance à fumer de plus en plus de cigarettes par jour[5].
En fait il y a aujourd’hui, autant en termes de prévalence que de nombre de cigarettes fumées, une quasi-égalité entre hommes et femmes[6].
Et cette prévalence se traduit également par l’incidence du cancer du poumon : à 55 % chez l’homme, 45 % chez la femme.
Il y a, ensuite, l’âge. Beaucoup de cancers du poumon aujourd’hui diagnostiqués le sont chez d’anciens fumeurs.
Il y a, enfin, le vapotage : le succès continu, depuis dix ans, de ce qui est présenté par un marketing miroir-aux-alouettes comme une alternative au tabac joue vraisemblablement un rôle dans le maintien des diagnostics élevés du cancer du poumon.
Nous n’avons pas encore suffisamment de recul sur le lien de cause à effet, mais on sait que des composés cancérigènes sont présents dans la vapeur : formaldéhyde, acroléine, métaux lourds (cadmium, plomb…), ainsi que d’autres substances toxiques[7].
L’acroléine, notamment, est utilisée comme désherbant, et on sait que lorsqu’elle pénètre dans les poumons, elle peut provoquer une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), de l’asthme et… un cancer du poumon[8].
Mais ces trois données n’expliquent pas pourquoi, en France comme ailleurs, les oncologues constatent que jusqu’à un quart des nouveaux cas de cancer du poumon concernent aujourd’hui des non-fumeurs[9].
Cette proportion augmente de façon continue.
Le « nouveau visage » du cancer du poumon
Le mois dernier, plusieurs médias anglo-saxons, et non des moindres – la BBC[10], le New York Times[11] – ont révélé l’ampleur de ce phénomène.
En Asie, 40 % des personnes diagnostiquées sont aujourd’hui des non-fumeurs[12].
Parmi certaines populations, la proportion de cancers du poumon chez des personnes n’ayant jamais fumé peut atteindre 50 %[13] !!
On parle même aujourd’hui d’un « nouveau visage » du cancer du poumon : les non-fumeurs sont en effet le plus souvent diagnostiqués d’un adénocarcinome pulmonaire[14], et ils le sont plus jeunes (avant 50 ans).
Une étude publiée dans Nature le mois dernier apporte une double explication à cette proportion croissante de cancers du poumon chez les non-fumeurs : la pollution atmosphérique, assortie à une mutation génétique… touchant davantage les non-fumeurs !
Commençons par la pollution.
Les chercheurs pointent aussi bien le rôle de la pollution atmosphérique – les particules fines (PM2,5) issues du trafic routier, du chauffage ou de certaines industries pénètrent profondément dans les poumons, déclenchant inflammations et mutations cellulaires – que celui de la pollution domestique : fumées de cuisson, moisissures, solvants, et en particulier le radon (gaz radioactif naturel présent dans certains sols et maisons mal ventilées).
Dans certaines régions comme Taïwan, la pollution est en passe de devenir la première cause de cancer du poumon ; une campagne systématique de dépistage a été mise en place.
Il faut encore mentionner les expositions professionnelles : amiante, poussières de silice, produits chimiques dans certaines usines ou chantiers.
L’autre facteur, c’est la prédisposition génétique : certaines mutations héréditaires augmentent le risque, même en l’absence de tabac.
Vous me direz : rien de neuf dans ce dernier point.
Sauf que… la pollution accélère ces mutations génétiques. Dans l’étude de Nature, « les patients provenant de régions à forte pollution atmosphérique étaient plus susceptibles de présenter des mutations du gène TP53 et des télomères plus courts. Ils présentaient également une augmentation de la plupart des types de mutations, notamment une multiplication par 3,9 de la signature SBS4, précédemment associée au tabagisme. »
Autrement dit, la pollution atmosphérique a aujourd’hui le même effet, sur l’ADN humain, que le tabagisme…
… et cet effet est transmissible.
Ce que vous pouvez faire
Si vous n’avez jamais fumé, cela ne veut pas dire que vous êtes à l’abri du cancer du poumon.
Cela ne signifie pas non plus que vous devez vivre dans la peur.
Déjà, les niveaux de pollution atmosphérique sont pour l’essentiel moins forts en France qu’en Asie, et particulièrement en Chine, à Taïwan et en Inde.
Mais il faut rester vigilant car ce phénomène des cancers du poumon chez les non-fumeurs touche également la France (entre 20 et 25 % des diagnostics) ; s’il est moins spectaculaire qu’en Asie… il progresse tout de même chez nous.
À titre de précaution :
- Soignez la qualité de l’air chez vous : ventilation, plantes dépolluantes (même si leur effet est modeste), détecteur de radon si vous vivez dans une zone à risque ;
- Évitez les expositions prolongées aux fumées ou poussières au travail ; portez un masque adapté si nécessaire ;
- Bougez ! L’activité physique favorise une meilleure oxygénation et un système immunitaire vigilant ;
- Écoutez votre corps : une toux persistante, un essoufflement inhabituel, une fatigue inexpliquée… doivent motiver une consultation.
Portez-vous bien,
Rodolphe
[1] https://www.researchgate.net/publication/13611979_Trends_in_Tobacco_Smoking_and_Consequences_on_Health_in_France – Catherine Hill, « Trends in Tobacco Smoking and Consequences on Health in France », in Preventive Medicine, juillet 1998
[2] https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2025/tabagisme-et-vapotage-parmi-les-18-75-ans-en-2023#:~:text=Le%20tabagisme%20et%20le%20vapotage,4%20%25%20chez%20les%20femmes). – « Tabagisme et vapotage parmi les 18-75 ans en 2023 », site de Santé Publique France, 20 mai 2025
[3] https://www.ined.fr/en/everything_about_population/demographic-facts-sheets/focus-on/cancer-mortality – « Cancer the leading cause of death in France », site de l’INED, janvier 2020
[4] https://www.cancer-environnement.fr/fiches/cancers/cancer-du-poumon – « Cancer du poumon », site Cancer Environnement (Centre Léon Bérard), 17 février 2025
[5] https://cnct.fr/wp-content/uploads/2022/02/Rapport-Tabagisme-Femmes-France-CEDEF.pdf – « Rapport : la situation du tabagisme féminin en France » (2022)
[6] https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/184465/document_file/24990_7716-d363.pdf – Catherine Hill & Agnès Laplanche, « Évolution de la consommation de cigarettes en France par sexe, 1900-2003 », in. BEH n°21-22, 2005
[7] https://nap.nationalacademies.org/catalog/24952/public-health-consequences-of-e-cigarettes – Kathleen Stratton, Leslie Y. Kwan & Davi L. Eaton, Public Health Consequences of E-Cigarettes, The National Academies Press (Washington), 2018
[8] https://www.verywellhealth.com/can-vaping-cause-cancer-8693704 – Maxime Lipner, « Can Vaping Cause Cancer ? What Does it Do to you Lungs ? », site Very Well Health, 22 août 2024
[9] https://www.apollohospitals.com/fr/health-library/do-non-smokers-get-lung-cancer – « Les non-fumeurs ont-ils un cancer du poumon ? », site Apollo Hospitals, 18 février 2025
[10] https://www.bbc.com/afrique/articles/c20xyyy5rr5o – Theres Lüthi, « Augmentation du nombre de cancers du poumon chez les non-fumeurs », site de BBC Afrique, 20 juillet 2025
[11] https://www.nytimes.com/2025/07/22/well/lung-cancer-nonsmokers.html – Nina Agrawal & Allison Jiang, « Many Lung Cancers Are Now in Nonsmokers. Scientists Want to Know Why », in The New York Times, 22 juillet 2025
[12] https://www.rtbf.be/article/jamais-fume-une-clope-et-pourtant-atteint-d-un-cancer-du-poumon-11581858 – Isabelle Huysen & Françoise Berlaimont, « Jamais fumé une clope et pourtant atteint d’un cancer du poumon », in RTBF Actus, 1er août 2025
[13] Cf. n. 11
[14] https://www.blick.ch/fr/monde/particules-fines-la-moitie-des-cancers-du-poumon-des-non-fumeurs-est-liee-a-la-pollution-id20557396.html – « La moitié des cancers du poumon des non-fumeurs est liée à la pollution », in Blick, 4 février 2025
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En soumettant mon commentaire, je reconnais avoir connaissance du fait que Total Santé SA pourra l’utiliser à des fins commerciales et l’accepte expressément.
Vous oubliez également le «cloud seeding », très peu abordé en France, cependant bien present et vérifiable si vous cherchez… que nous respirons tous, peu importe où l’on se trouve.
Je pense qu’il est essentiel aussi de faire des exercices de respiration surtout avec des rétentions poumons plein qui permettent de déloger les toxines et même les particules fines et d’expirer lentement avec une respiration abdominale
Bonjour Rodolphe,
Lettre très intéressant intéressant, mais il y a un facteur que vous n’avez pas parlé et que j’ai lu dernièrement le dérèglement circadien
Ou dans cette étude, il parlait que les infirmières qui travaillent de nuit sont plus susceptibles d’avoir des cancer après 40 ans.
Du coup ils ont étendu cela et ont montré que le travail de nuit est potentiellement un facteur de cancer du poumon, gilet humain. Et cela correspond avec tout ce que vous avez marqué, car aujourd’hui ne travaillons de plus en plus de nuits et sommes totalement déréglée.
En avez-vous entendu parler !
Bien à vous