Chers amis,

Tout récemment, un membre de ma famille, âgé de 70 ans, m’annonça qu’il allait subir une biopsie de la prostate.

 « Mais… depuis quand as-tu des problèmes de prostate ??!

– Eh bien, moi, j’ai l’impression que tout va bien, je n’ai pas de problème pour uriner, je ne ressens aucune gêne… mais mon taux de PSA est plus élevé que d’habitude… Alors le médecin ne veut pas prendre de risque. »

J’écarquillai les yeux. Car la biopsie de la prostate est un examen médical risqué.

Il s’agit d’introduire une longue aiguille dans votre rectum, Messieurs, afin d’en prélever un morceau… pour l’analyser.

Cet « examen », qui a pour but de détecter un possible cancer, a des effets secondaires fréquents et durs à vivre.

Parmi eux, l’impuissance, l’infection urinaire, des fièvres… J’y reviens en détail ci‑dessous.

Expliquer à un proche pourquoi l’acte médical que lui a prescrit son médecin risque de lui faire plus de mal que de bien est difficile.

En remettant en question cette décision, vous risquez d’inquiéter davantage votre interlocuteur, évidemment. Même si c’est pour son bien.

Pour que vous soyez armé le jour où vous ferez face à ce choix, pour vous ou un proche, je voudrais vous donner les résultats d’études scientifiques consacrées aux conséquences de la « biopsie de la prostate ».

Savez-vous lire le PSA ?

Depuis les années 1990, le taux de PSA est devenu une religion dans le diagnostic préliminaire du cancer de la prostate.

Un début de cancer de la prostate peut être :

  • sans symptômes ;
  • ou accompagné de difficultés et d’envies fréquentes d’uriner, voire de sang dans les urines.

Comme cette liste de symptômes n’est pas « propre » au cancer de la prostate, c’est la mesure d’une protéine dans le sang qui renseigne le médecin sur le risque du cancer : le fameux PSA.

Le PSA est une protéine fabriquée par cette glande située juste en dessous de la vessie dont la fonction est de réguler la fonction urinaire et de participer à la production du sperme (d’où le rôle de la prostate dans la vie sexuelle).

La mesure régulière du taux de PSA est un examen de routine pour les hommes après 50 ans.

Le taux normal de PSA a été fixé à 4 ng/ml.

Mais ce taux « normal » a deux défauts : il est arbitraire et aveugle.

Je m’explique.

Un PSA élevé n’est pas forcément le signe d’un cancer !

Avec l’âge, le volume de la prostate augmente, ce qui est parfaitement normal. Or, le taux de PSA est proportionnel à ce volume. Plus vous êtes un homme âgé, plus votre prostate est volumineuse, plus votre PSA est élevé.

Un taux de PSA élevé ne veut donc pas forcément dire que vous avez un cancer.

Et avant de crier au cancer, il est important de parallèlement mesurer la prostate ; j’y reviens plus loin.

Par ailleurs, le taux de PSA peut vite grimper en cas :

  • de prise de certains médicaments, notamment l’ibuprofène, un AINS (anti‑inflammatoire non stéroïdien) ;
  • d’éjaculation dans les 24 à 48 heures précédant la mesure, (le PSA peut monter jusqu’à 0,8 ng/ml après l’éjaculation) ;
  • de diarrhée, de constipation importante ou de colite inflammatoire ;
  • d’activité sur une selle, comme le vélo ou l’équitation ;
  • d’infection de la prostate ou de la vessie ;
  • d’examens médicaux tels que le toucher rectal, l’échographie endorectale… ou la biopsie de la prostate !

Autrement dit : un PSA élevé peut être lié aux circonstances précédant le prélèvement, ou à n’importe quelle maladie non-cancéreuse comme la prostatite (inflammation de la prostate) ou l’hypertrophie bénigne de la prostate (HBP).

Cette hypertrophie de la glande concerne l’immense majorité des hommes d’âge mûr. Elle peut être simultanée d’un cancer, mais ne dégénère jamais, elle-même, en cancer[1].

Enfin je ne veux pas rajouter à la confusion mais… un taux de PSA « normal » n’est pas forcément le signe de l’absence de cancer[2] !

Alors voilà le problème : un taux de PSA plus élevé que d’habitude encourage souvent les urologues à embrayer directement sur une biopsie pour confirmer ou infirmer la présence d’un cancer.

Cet enchaînement direct mesure du PSA – biopsie pose des problèmes importants, avec parfois des conséquences dramatiques. 

Le très lourd casier judiciaire de la biopsie

À court terme, d’abord

La biopsie est un examen traumatisant pour beaucoup d’hommes ; le premier dégât est psychologique évidemment, puisqu’on parle immédiatement de cancer au patient.

Les effets secondaires qui suivent immédiatement la biopsie peuvent être :

  • fièvre et douleurs ;
  • saignements abondants, pouvant nécessiter une transfusion ;
  • troubles de l’érection pouvant persister 6 mois après l’examen[3];
  • infection et/ou des troubles urinaires qui nécessiteront une hospitalisation[4]. 

Ces effets secondaires ne concernent pas une minorité des patients subissant une biopsie, mais 30 % d’entre eux !

On soupçonne également la biopsie d’aggraver, voire de « réveiller » un cancer de la prostate latent du fait de l’inflammation provoquée par le prélèvement, même si ce lien n’a pas été formellement prouvé 

À long terme

L’autre principal problème posé par la biopsie est… le diagnostic suivant l’examen. C’est souvent :

  • soit un sous-diagnostic ;
  • soit un surdiagnostic

Le sous-diagnostic : une fois sur cinq, le prélèvement loupe la zone tumorale ! Il y a pourtant une démarche simple à effectuer pour éviter cette erreur – j’y reviens.

Le surdiagnostic : lorsqu’elle est positive, la biopsie révèle la présence d’un « adénocarcinome de la prostate ». Autrement dit, une tumeur.

Le problème, c’est que la présence de cellules cancéreuses dans la prostate… c’est normal, ou presque !!!

À 80 ans, 80 % des hommes sont en effet porteurs de cellules cancéreuses dans la prostate !

Les cellules cancéreuses révélées par la biopsie sont en effet à un stade initial, qui n’évolueront probablement jamais vers un cancer cliniquement décelable !

Je reviendrai dans une deuxième lettre sur la conséquence trop fréquente du surdiagnostic : le surtraitement

Alternatives à la biopsie

Vous l’avez compris, la priorité des priorités, en cas de PSA trop élevé, est d’éviter la prescription immédiate d’une biopsie.

C’est ce que j’ai recommandé à mon parent dont je vous ai raconté l’histoire au début de ce message. Suite à notre échange, son médecin a annulé sa biopsie qu’il a remplacée par une IRM.

L’imagerie médicale est en effet une étape que tout patient dont le PSA a été mesuré en hausse devrait demander en priorité, pour trois raisons.

1 – Pour mesurer la prostate

Je vous disais plus haut que le taux de PSA est proportionnellement lié à la taille de la prostate.

Voici l’équivalence généralement admise : 10 grammes de prostate = 1 point de PSA.

Si l’échographie évalue la taille de votre prostate à 50 grammes, une PSA « normale » dans votre cas avoisinera donc les 5 points.

2 – Pour localiser une tumeur, s’il y en a une !

Une IRM doit permettre de localiser une tumeur s’il y en a une.

Si la tumeur est modeste et surtout bien circonscrite, il n’y a a priori pas de raison de pratiquer une biopsie. Il faudra effectuer des examens réguliers afin de la surveiller.

La plupart des tumeurs détectées restent en effet localisées et peu, ou pas, évolutives. Une fois de plus, le cancer de la prostate a une évolution très lente !

Les cas de cancers de la prostate agressifs sont l’exception, non la règle : un homme sur dix seulement risque de développer des métastases[5].

3 – Pour éviter les biopsies inutiles… ou manquées

En cas de découverte effective d’une tumeur nécessitant une biopsie, l’imagerie médicale permet au médecin pratiquant la biopsie de ne pas ponctionner « à l’aveugle ».

Je vous disais au sujet des biopsies que, une fois sur cinq, elles manquent la zone tumorale. Une imagerie médicale en amont permet de mieux « viser », et donc de ne pas faire subir au patient cet examen risqué pour rien.

À vous de choisir votre dépistage

Avant même l’étape de l’IRM ou de l’échographie, un examen peu agréable mais moins risqué comme le toucher rectal permet à l’urologue de se faire une première idée de la suite des examens pertinents à effectuer.

Ensuite, en fonction des résultats de ces différents examens (PSA, toucher rectal, IRM…), et toujours avant la biopsie, il est possible de procéder à un dépistage plus précis : celui du PCA3.

Cette mesure se fait par test urinaire. Le PCA3 est un gène qui s’exprime spécifiquement en cas de cancer de la prostate : c’est donc un indice fiable.

Cependant, cela ne change rien au fond du problème : même si l’on vous diagnostique un cancer de la prostate, il y a de fortes chances que vous n’en décédiez pas.

Pour la plupart des autres cancers, le diagnostic précoce augmente significativement les chances de survie, mais le cancer de la prostate évolue, lui, si lentement, que cela ne fait guère de différence à long terme.

Il s’agit donc de ne pas tomber dans le piège tendu par un dépistage trop tôt de ce cancer : croire que vous gagnerez en années de vie, en perdant en qualité de vie (incontinence, impuissance, etc.).

J’y consacrerai une prochaine lettre à part entière.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

P.-S. : le mouvement « Touche pas à ma prostate » rassemble de plus en plus de médecins opposés au diagnostic du cancer de la prostate. Je vous recommande la vidéo passionnante de son chef de file, Dominique Dupagne : https://www.dailymotion.com/video/x6vxfp

Source :

[1] Monda (J.) et al., “Prostate specific antigen cannot distinguish stage T1a (A1) prostate cancer from benign prostatic hyperplasia”, The Journal of urology, 1994, vol. 151, publication 5, pages 1291-1295, https://doi.org/10.1016/S0022-5347(17)35234-5

[2] Catalona (W. J.) et al., “Measurement of prostate-specific antigen in serum as a screening test for prostate cancer”, New England Journal of Medicine, 1991, 324:1156-1161, https://doi.org/10.1056/NEJM199104253241702

[3] Tuncel (A.) et al,  “Impact of transrectal prostate needle biopsy on erectile function: Results of power Doppler ultrasonography of the prostate”, The Kaohsiung Journal of Medical Sciences, vol. 30, publication 4, avril 2014, pages 194–199, https://doi.org/10.1016/j.kjms.2013.11.004

[4] Ehdaie (B.) et al, “The impact of repeat biopsies on infectious complications in men with prostate cancer on active surveillance”, mars 2014, Journal of Urology, publication 3, pages 660-664, https://doi.org/10.1016/j.juro.2013.08.088

[5] Hamdy (F.) et al., “10-Year Outcomes after Monitoring, Surgery, or Radiotherapy for Localized Prostate Cancer”, The New England Journal of Medicine, 2016, 375:1415-1424, https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1606220