Chers amis,
Nous avons tous nos têtes de Turc. Et je ne vous écris pas ça parce que je reviens d’Istanbul.
Ma femme, ce sont les moustiques.
Elle reste impassible face à un chien qui aboie rageusement contre elle, elle garde son calme lorsqu’une guêpe fait son marché sur notre plateau de petit-déjeuner l’été, se retrouver nez à nez avec une araignée la laisse indifférente, mais les moustiques…
… les moustiques la font changer de personnalité !
Dès qu’elle entend le fin « bzzzzzzzzz » qui signale la présence d’un de ces minuscules vampires ailés dans notre chambre, elle passe de la tranquillité la plus placide à un mode chasseur-tueur totalement dépourvu de pitié.
Elle bondit hors du lit, adresse les plus accablantes insultes à l’insecte en le cherchant implacablement d’un regard acéré et furibard.
En général, là, si elle le repère au plafond, elle prend le premier truc qui lui tombe sous la main – en général mon oreiller – qu’elle propulse violemment en l’air pour écraser la bête.
Après avoir vérifié que l’intrus est bien décédé sur le coup, son cadavre imprimé comme une décalcomanie sur le plafond, elle me tend mon oreiller maculé d’une petite trace sanguinolente et se recouche, satisfaite, son instinct de machine à tuer assouvi.
Je ne vous parle pas de ma femme par hasard. Les moustiques, c’est d’abord une histoire de femelles.
Une histoire de femelles
Commençons par une vérité qui ne fera pas plaisir aux féministes : ce sont les femelles moustiques qui piquent.
Pas par méchanceté ou par goût du sang (elles ne regardent même pas Twilight), mais tout simplement pour nourrir leurs œufs. Leur repas de sang leur apporte les protéines nécessaires à la reproduction.
Quand vous entendez un moustique faire son « bzzzzz » aigu et caractéristique c’est à coup sûr une moustique : les mâles ne font pas ce bruit !
Et surtout ils ne piquent pas.
Inutile, donc, par défaut, d’exterminer un moustique dès que vous en apercevez un dans la nature : c’est, fort possiblement, un mâle, qui ne s’intéressera pas à vous à moins que vous ne soyez une fleur.
En effet, le rôle des mâles, hormis évidemment celui de s’accoupler avec les femelles, est celui d’un pollinisateur ! Il se nourrit de nectar de fleurs et contribue donc à la reproduction des plantes, à la biodiversité[1].
Drôle d’espèce, dont la dame est une suceuse de sang expérimentée, et le monsieur un paisible jardinier végétarien !
Le moustique mâle se reconnaît notamment à ses antennes « poilues », voire « plumeuses »[2].
Abréger prématurément la vie de cet animal est d’autant plus cruel que, contrairement au moustique femelle, il ne vit que quelques jours, une semaine tout au plus.
Le profil de chasseuse de la femelle moustique est en revanche très affûté.
Elle détecte la chaleur corporelle, le CO₂ que vous expirez, vos odeurs (acide butyrique, sueur…), vos mouvements… et semble particulièrement apprécier les personnes en chemise noire lors des barbecues d’été !
Mais, le « vrai » problème des moustiques, ce n’est pas le sang qu’il vous suce, ni même la substance qu’il vous injecte pour anesthésier votre peau durant la succion, et qui vous démange après.
Ce sont les maladies.
Le plus grand tueur de l’humanité
En effet, l’animal le plus meurtrier pour l’humanité n’est ni le lion, ni le requin… mais bel et bien notre moustique.
Il tue bien plus que tous les prédateurs réunis et est responsable de plus de 700 000 morts chaque année.
Sa piqûre peut transmettre le paludisme (ou malaria), la dengue, le chikungunya, le virus Zika, la fièvre jaune, et plusieurs autres arboviroses.
Pour la seule année 2023, l’OMS estimait à 263 millions le nombre de cas de paludisme et à 597 000 le nombre de décès dus au paludisme dans 83 pays[3], essentiellement en Afrique.
C’est considérable.
Pour dédramatiser un peu ce chiffre étourdissant, je vous rapporte une anecdote que relate l’anthropologue Nigel Barley.
En immersion dans la tribu des Dowayos, au Cameroun, il assiste un jour à une projection de cinéma en plein air organisée par un Allemand. Le film projeté est un documentaire incitant la population à tuer les moustiques car ils donnent le paludisme.
« Le film montrait des agrandissements gigantesques de ces immondes vecteurs de maladie que sont les moustiques. Ils bavaient de façon répugnante à l’écran et plongeaient leur trompe râpeuse dans la chair humaine. Des gros plans de visages angoissés ruisselant de sueur succédaient immédiatement aux images de moustiques, ce qui impliquait – pour nous – une relation de cause à effet[4]. »
Au grand désarroi de l’Allemand organisateur de cette projection pédagogique, les Dowayo ne sont ni effrayés ni même intéressés par les très gros plans de moustiques censés évoquer en eux le danger palpable du paludisme.
L’anthropologue donne à la fin du chapitre l’explication de cette impassibilité totale :
« Bien sûr, m’expliquèrent [les Dowayos], ils admettaient que les monstrueux moustiques baveux qu’ils avaient vus puissent être dangereux pour l’homme et même mortels. Heureusement, les Dowayos avaient de la chance : chez eux les moustiques étaient minuscules. Ceux qu’ils avaient vu à l’écran étaient plus gros qu’un homme. Alors qu’ici, en pays dowayo, c’étaient de toutes petites bêtes. Comment ce fait avait-il pu échapper à l’homme blanc ? [5] »
80 % des départements français concernés
Pour le paludisme, qui frappe très durement l’Afrique, le principal coupable est le moustique du genre Anopheles.
Ce moustique porteur du plasmodium ne sévit pas sous nos latitudes.
Mais il est un autre moustique qui, lui, gagne du terrain : c’est le moustique tigre (Aedes albopictus), responsable de la progression alarmante en Europe de la dengue, du chikungunya et du Zika.
« La dengue et le chikungunya seront bientôt endémiques sur le vieux continent » titrait il y a quelques jours France Info[6] :

D’après l’institut Pasteur, c’est désormais plus de 80 % des départements français qui rassemblent les conditions propices à l’émergence du chikungunya, de la dengue et de Zika[7].
La carte officielle de la présence du moustique tigre[8] est éloquente :

Même moi qui croyais être préservé lorsque je rentre dans ma Haute-Normandie natale, je ne le suis plus !
Cette menace est donc très sérieuse et déjà plus de 2000 cas de dengue et de chikungunya ont été recensés en France métropolitaine depuis le début de cette année 2025[9] :

Ces maladies provoquent toutes deux une fièvre élevée, des douleurs articulaires et musculaires intenses, ainsi que de la fatigue et parfois une éruption cutanée.
La dengue peut s’accompagner de saignements et évoluer vers une forme hémorragique grave, potentiellement mortelle.
Le chikungunya, quant à lui, est rarement fatal mais peut entraîner des douleurs articulaires chroniques durant plusieurs semaines ou mois.
Or il n’existe pas de traitement spécifique pour ces maladies : seule la prise en charge des symptômes est possible…
… et la prévention, c’est-à-dire… repousser les moustiques.
Comment vous en protéger efficacement ?
Essayer de les exterminer à coups de bombe chimique (ou d’oreiller de votre mari) est tentant, j’en conviens, mais ça ne suffit pas, d’autant que les produits vendus dans le commerce ne sont pas toujours efficaces, ni bons pour votre santé.
Avant donc de dégainer l’aérosol qui rendra vos bronches aussi nettes qu’un pot d’échappement, sachez qu’il existe des solutions plus douces et efficaces :
✅ Les huiles essentielles : citronnelle, géranium rosat, lavande vraie, eucalyptus citronné. À diffuser ou appliquer (diluées !) sur la peau.
✅ Les moustiquaires : oui, c’est désuet. Mais redoutablement efficace. Et ça donne un petit côté Out of Africa à votre chambre.
✅ Le vinaigre de cidre dans une coupelle : attire les moustiques… qui finissent noyés.
✅ Les vêtements clairs et amples : le moustique adore les couleurs sombres et les tissus proches de la peau.
✅ Supprimez les eaux stagnantes ! Un bouchon d’eau suffit à accueillir leur progéniture.
En cas de piqûre, pensez à l’argile verte : une petite noisette directement sur le bouton soulage démangeaisons et inflammation.
Et si vous êtes du genre à réagir violemment, gardez toujours un peu d’huile essentielle de lavande aspic sous la main : c’est le Rolls du soin post-piqûre.
Portez-vous bien,
Rodolphe
[1] https://www.letemps.ch/sciences/ne-mecrasez-pitie-ne-suis-quun-moustique-male?srsltid=AfmBOoqaVoD7huonvaE_wRolsy1yZLySE-SA7yEH9S-R6twyOFKdPeTQ – Valérie de Graffenried, « Ne m’écrasez pas, par pitié, je ne suis qu’un moustique mâle ! ». in. Le Temps, 2 septembre 2014
[2] https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/animaux-sont-differences-moustique-male-moustique-femelle-18936/ – Nathalie Mayer, « Quelles sont les différences entre un moustique mâle et un moustique femelle ? », in. Futura, 10 septembre 2023
[3] https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/malaria – « Paludisme », site de l’OMS, 11 décembre 2024
[4] Nigel Barley, Le Retour de l’anthropologue, Payot voyageurs, 1995, p.132-133
[5] Ibid, p.137
[6] https://la1ere.franceinfo.fr/guadeloupe/le-moustique-tigre-gagne-du-terrain-en-europe-1588053.html – Florence Peroumal, « Le moustique tigre gagne du terrain en Europe », in. France Info, 20 mai 2025
[7] https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/chikungunya – « Chikungunya », site de l’Institut Pasteur, mars 2025
[8] https://sante.gouv.fr/sante-et-environnement/risques-microbiologiques-physiques-et-chimiques/especes-nuisibles-et-parasites/article/cartes-de-presence-du-moustique-tigre-aedes-albopictus-en-france-metropolitaine – « Cartes de présence du moustique tigre (Aedes albopictus) en France métropolitaine », site du Ministère du travail, de la santé, des solidarités et des familles, 16 mai 2025
[9] https://www.ouest-france.fr/sante/maladies/plus-de-2000-cas-de-dengue-et-de-chikungunya-recenses-en-metropole-depuis-le-debut-de-lannee-d3e7836a-31ab-11f0-a780-38f15a8a5638 – « Plus de 200 cas de dengue et de chikungunya recensés en métropole depuis le début de l’année », in. Ouest France, 15 mai 2025
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Merci pour cet article super interessant et particulièrement bien ecrit !
Bonjour
Merci, Rodolphe, pour ces infolettres originales et toujours pertinentes.
Concernant les moustiques, je conseille à tous l’excellent ouvrage d’Erik Orsenna : Géopolitique du moustique, qui s’intéresse à tous les aspects de la question : mœurs des différentes espèces (l’un est campagnard, l’autre est plutôt citadin), moyens de reproduction et vecteurs de propagation, etc, sans jargon scientifique ni pédantisme.
C’est tout simplement passionnant !
Cordialement.
Cyrille SEBE
Antananarivo, Madagascar