Chers amis,

Si j’associe les mots « parasite » et « être humain », vous penserez peut-être spontanément au ver solitaire (ou ténia), capable de vivre dans un intestin grêle humain pendant trente ou quarante ans, et d’atteindre jusqu’à 10 mètres de long… sans jamais être diagnostiqué.

D’autres parasites sont cependant encore plus difficilement détectables, et ont une incidence encore plus vicieuse sur leur hôte.

Ces parasites influencent le comportement de l’être vivant qu’ils « squattent », allant jusqu’à le pousser au suicide.

Cela touche des insectes, des mammifères…et l’homme.

La coccinelle zombie, et autres contes horrifiques

Mais prenez pour commencer le super-prédateur de votre jardin : la coccinelle.

Grâce à ses antennes, celle-ci est capable de détecter les molécules que relâchent les pucerons afin de les dévorer. Elle peut ainsi en engloutir plusieurs milliers au cours de son existence.

Ce n’est pas le seul pouvoir de la coccinelle : quand un autre prédateur essaie de l’attaquer – mettons un oiseau – elle dégage un poison via ses pattes, et se fait recracher.

La couleur rouge de la coccinelle est donc un avertissement aux prédateurs : attention, danger !

La coccinelle court pourtant elle-même un danger, dont elle ignore tout : des guêpes qui se servent d’elle comme mère porteuse et nourrice.

Une guêpe femelle se pose près d’une coccinelle, lui plante subrepticement son dard dans l’abdomen et y dépose un œuf.

Notre coccinelle, désormais, quand elle se nourrira, nourrira en fait la larve de la guêpe.

De l’extérieur, la coccinelle agit comme si de rien n’était : elle continue à dévorer des pucerons, mais elle-même est dévorée de l’intérieur.

Puis, comme dans le film Alien, le parasite sort de l’abdomen de la coccinelle.

La larve de guêpe tisse alors un cocon entre les pattes de son hôte ! Mais, contrairement au film Alien, cette sortie spectaculaire ne tue pas immédiatement la coccinelle, qui au contraire protège le cocon de la guêpe des prédateurs !

Au bout d’une semaine, la guêpe sort de son cocon… et la coccinelle meurt.

Autrement dit, la coccinelle n’agit plus dans son propre intérêt, mais dans celui de la guêpe qui s’est nourrie d’elle.

Son cerveau est sous emprise.

En 2015, une virologue française, Nolwenn Dheilly, a découvert que ce comportement aberrant de la coccinelle était provoqué par un virus que lui transmet la guêpe au moment où elle pond littéralement dans son abdomen.

Ce virus, dormant chez la guêpe, se réveille dans l’abdomen de la coccinelle et agit sur son système nerveux, forçant le coléoptère à rester immobile au-dessus du cocon[1].

Ce type d’emprise, où le comportement de l’hôte n’est plus dicté par sa propre survie, mais par celle du parasite qu’il porte, est spectaculaire, mais n’est pas isolé.

On pourrait écrire un recueil entier de contes tout aussi effroyables avec d’autres espèces d’insectes, de poissons ou de mammifères.

Par exemple, le Plasmodium – le protozoaire causant le paludisme – passe les premières étapes de sa vie dans un moustique… et les suivantes dans l’homme.

Tant que le protozoaire n’est pas suffisamment développé, il inhibe le comportement du moustique afin qu’il ne vole pas trop à la recherche de sang, et donc diminue son risque soit de se faire manger par un prédateur comme une chauve-souris, soit de se faire tuer par un humain.

Mais une fois suffisamment développé, le protozoaire manipule le comportement du moustique dans l’autre sens : il le rend assoiffé de sang, téméraire et suicidaire… afin de pouvoir, dès que possible, passer dans le sang d’un être humain.

Plus c’est gros, plus ça passe

Que des parasites manipulent le comportement d’insectes comme la coccinelle ou le moustique pour arriver à leurs fins, soit.

Mais les êtres vivants plus complexes, vraiment ??

Vraiment.

La toxoplasmose, chez l’homme, est provoquée par un cousin unicellulaire de Plasmodium nommé Toxoplasma gondii. Il peut former des milliers de kystes dans le cerveau de son hôte.

Comme tout parasite, Toxoplasma gondii est incapable de se reproduire de façon autonome. Et comme Plasmodium, il ne doit pas trouver un hôte, mais deux !

Le premier, qualifié d’hôte intermédiaire, est en général le cerveau d’un rongeur ou d’un oiseau, qui l’ingère sous forme d’œuf, en consommant un aliment infecté. Ceux-ci éclosent dans leur organisme et commencent leur développement, qu’ils ne peuvent cependant pas achever.

En effet, le toxoplasme ne peut finir son cycle de vie que dans l’intestin d’un félin, un chat par exemple, qui est l’hôte définitif.

Là, il sera en mesure d’émettre ses œufs, qui seront rejetés dans l’environnement avec les crottes du chat, avant d’être ingérés par un nouvel hôte intermédiaire.

Le problème, c’est que passer du cerveau d’un rat au ventre d’un félin, pour le protozoaire, n’a rien d’évident.

Le protozoaire met donc au point un plan diabolique : une fois installé dans le cerveau d’un rat, son hôte, au lieu de fuir les chats… va à leur rencontre !!!

Ce phénomène a été mis en évidence par des chercheurs de l’université de Stanford aux États-Unis[2]. Ils ont en effet observé que les rats infectés par le toxoplasme perdent leur crainte innée de l’odeur d’urine du chat, un réflexe de survie pourtant fortement ancré chez ces rongeurs.

Inconscients du danger, les rats ne fuient plus les lieux fréquentés par les chats, ce qui augmente fortement les risques de prédation. Pire encore, ces rats se montrent curieux de l’odeur d’urine de chat !

Comment est-ce possible ? Les scientifiques ont montré que le parasite perturbe le cerveau du rat, « détournant » les régions d’ordinaire activées en cas d’attraction sexuelle, afin de le faire réagir à l’odeur de l’urine de chat.

Le toxoplasme parvient ainsi à orienter le comportement de ce mammifère pour en tirer profit : il crée une quasi attirance sexuelle pour un stimulus qui va mener le rongeur à sa perte, mais permettre au protozoaire de se développer, une fois que le cerveau du rat sera passé dans le ventre du chat.

Le chat, lui, ne pâtira pas du toxoplasme : le parasite y est tranquillement installé, et a besoin des crottes du chat pour que ses œufs se retrouvent hors de l’intestin du félin !

Et l’homme dans tout ça ?

Si le toxoplasme ne s’attaque pas au cerveau du chat – il est trop confortablement installé dans le ventre du félin – il n’en va pas tout à fait de même pour l’être humain.

La toxoplasmose est une infection très courante : on estime qu’un adulte sur deux est porteur du parasite en France.

Mais la plupart des porteurs l’ignorent : chez les personnes en bonne santé, la maladie est très discrète et n’entraîne aucun symptôme détectable.

Elle peut tout au plus provoquer, après une période d’incubation de quelques jours, des symptômes évoquant la grippe : maux de tête, fatigue, fièvre ne dépassant pas 38°C, douleurs articulaires et musculaires, ganglions gonflés…

Le fait d’éprouver ces symptômes en-dehors des périodes d’épidémies hivernales peut alerter, mais il est facile de passer à côté car ils peuvent être imputables à nombre de maladies.

Seules les femmes enceintes sont informées de manière systématique sur leur statut sérologique par rapport au parasite car la toxoplasmose peut avoir des conséquences très graves sur le fœtus, entraînant des lésions des yeux et du cerveau.

Un test de dépistage obligatoire, basé sur une analyse sanguine mettant en évidence l’éventuelle présence d’anticorps dirigés contre le parasite, est donc mené en début de grossesse et renouvelé chaque mois pour s’assurer qu’aucune contamination ne s’est produite.

Mais en dehors des femmes enceintes, donc, la toxoplasmose est rarement dépistée chez les adultes.

Or ce parasite est lui aussi susceptible d’influencer – de manière très spécifique – le comportement de l’homme et de la femme.

Et c’est ce que nous verrons dans une prochaine lettre.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

[1] Nolwenn M. Dheilly et al., “Who is the puppet master? Replication of a parasitic wasp-associated virus correlates with host behaviour manipulation”, The Royal Society publishing: Biological Sciences, mars 2015

[2] House PK et al., “Predator cat odors activate sexual arousal pathways in brains of Toxoplasma gondii infected rats”, PLoS One, 2011, doi: 10.1371/journal.pone.0023277