Chers amis,

Dans Le Monde ne suffit pas, le héros James Bond est affublé de lunettes à rayons X, qui lui permettent de voir à travers les vêtements : il peut ainsi découvrir les armes que portent des personnages… et leurs sous-vêtements.


Il y a près de 25 ans, ce gadget de 007 apparaissait comme une aimable fantaisie.

Mais cette technologie, amusante dans un film de divertissement, provoquerait un scandale si l’on surprenait aujourd’hui quelqu’un en faisant usage sur la voie publique :

  • Son utilisateur serait à bon droit accusé de voyeurisme voire d’abus de pouvoir si c’était un fonctionnaire (un policier, un militaire) ;
  • Ses victimes, dont l’intimité serait violée, pourraient à raison le poursuivre pour atteinte à la vie privée.

Vous seriez choqué, et vous auriez raison.

Pourtant, nous sommes en ce moment-même en train de laisser s’installer, dans notre société, l’usage d’une technologie qui nous met également à nu, en public.

Cette technologie ne dévoile ni nos sous-vêtements ni notre intimité physique, mais notre vie privée.

Pour être ainsi « mis à nu », il suffira bientôt de pousser la porte d’un restaurant ou de marcher dans la rue.

Cette violation de notre intimité, où que nous allions, quoique nous fassions, repose sur deux outils.

Leur technologie est prête. Ils n’attendent plus que d’être déployés dans nos pays.

Souriez : vous ne serez plus seulement filmés, vous serez reconnus

Le premier de ces deux outils, c’est la reconnaissance faciale.

C’est une technologie qui a commencé à être mise au point dans les années 1970, mais qui a fait des bonds de géant ces derniers mois.

Elle s’appuie sur les spécificités biométriques de votre visage.

Les intelligences artificielles de reconnaissance faciale permettent de vous identifier en quelques secondes, à partir de ces seules caractéristiques de votre visage :

  • La couleur et l’écartement de vos yeux,
  • les arêtes de votre nez,
  • les commissures de vos lèvres,
  • vos oreilles,
  • votre menton, etc.

Cette technologie est déjà employée pour vérifier votre identité dans des lieux « sensibles », comme les aéroports : la généralisation du passeport biométrique a permis son déploiement à grande échelle.

Mais, si vous avez effectué un tel contrôle avant d’entrer en salle d’embarquement, on a dû vous demander de ne pas bouger et d’adopter une expression neutre (comme quand vous avez fait vos photos d’identité).

Aujourd’hui cette technologie est si avancée qu’elle est capable de vous identifier lorsque vous êtes dans la rue, au milieu d’une foule et en mouvement.

Comment ? Par la multiplication de caméras de vidéosurveillance « augmentées », capables de vous suivre pas à pas.

Ces caméras existent déjà en Chine, où l’on estime qu’il y en a une pour deux habitants : les autorités chinoises sont ainsi capables de pister n’importe lequel de leur citoyen à la seconde près et au centimètre près, et de stocker ces données indéfiniment.

C’est de la surveillance de masse, hyper-précise.

« Oui, mais c’est la Chine, un pays autoritaire, une dictature ! Chez nous une chose pareille ne passera jamais ! »

C’est ce que je me disais, naïvement, il y a encore quelques mois.

Mais, en mai dernier, la Commission des Lois du Sénat a déposé un rapport ouvrant la voie à l’exploitation de cette technologie dans l’espace public français, en préconisant une période d’essai de trois ans[1].

L’objectif affiché : que la technologie soit suffisamment « testée » pour les Jeux Olympiques de Paris, en 2024.

Des villes comme Nice, Metz ou Marseille ont déjà servi de terrains d’expérimentation à ces caméras capables de vous reconnaitre dans la rue[2].

Les mairies sont en outre « généreusement » dotées par des acteurs privés : ainsi, en 2020, le chinois Huawei a-t-il offert 240 caméras de vidéosurveillance d’une valeur de 2 millions d’euros à la ville de Valenciennes[3].

La surveillance de masse intelligente en France, ça n’est donc pas pour après-demain, ni demain : c’est déjà aujourd’hui, au stade expérimental !

La généralisation à marche forcée de « l’identité numérique »

Le second outil, c’est l’identité numérique, ou encore le portefeuille numérique.

En décembre-janvier dernier, j’ai alerté sur les dérives qu’incarnaient le pass sanitaire puis le pass vaccinal :

  • Le chantage social à l’injection vaccinale (si vous voulez prendre le train, aller au restaurant, au cinéma : acceptez que votre corps reçoive un produit pharmaceutique expérimental) ;
  • La disparition du secret médical (les documents recueillant les données médicales comme le carnet de santé, notifiant les vaccins reçus ou non, sont des outils réservés aux professionnels de santé, qui le consultent avec l’accord de leur propriétaire – PAS par des garçons de café, des caissières de cinéma ou des contrôleurs de train) ;
  • La mise en place d’une technologie de crédit social (le QR code comme sésame pour avoir le droit d’accéder à des biens et services, et comme justificatif d’identité).

Le pass vaccinal tel que nous l’avons connu en début d’année a pour le moment été mis en suspens – cependant pas pour tout le monde puisque les soignants et pompiers non-vaccinés ne peuvent toujours pas réintégrer leur service.

L’avenir nous dira si cet outil, sous cette forme-là, sera à un moment ou l’autre réactivé, à la faveur d’une énième vague, ou d’une autre maladie.

Mais, avec le recul, le déploiement à l’échelle nationale de cet outil ressemble fort à un test « grandeur nature » de cette technologie : elle existe, et elle fonctionne.

Or l’étape suivante a été programmée par la Commission européenne dès le mois de septembre 2020, soit en pleine crise du covid : c’est l’identité numérique européenne.

La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, la présentait alors ainsi : « la Commission proposera une identité électronique européenne sécurisée. Une identité fiable, que tout citoyen pourra utiliser partout en Europe pour n’importe quel usage, comme payer ses impôts ou louer un vélo.[4] »

Concrètement, vous pourrez stocker sur votre téléphone votre carte d’identité, votre permis de conduire, vos moyens de paiement, vos diplômes – bref, toute votre vie digitalisée, et vérifiables par des QR codes.

Sur le papier – enfin, sur l’écran, puisque l’on verse là réellement dans le tout numérique – cette avancée technologique est conçue pour votre sécurité.

Exactement comme pour le pass vaccinal, les injections anti-covid : c’est pour votre bien !

La dématérialisation à marche forcée a commencé : je vous en ai parlé à plusieurs reprises ces dernières semaines. Le QR code pour justifier de son statut vaccinal, La Poste qui se transforme en imprimante d’emails, la raréfaction organisée de l’argent liquide… l’époque nous entraîne vers une dépendance totale à nos ordinateurs, et plus encore à nos smartphones.

Pour beaucoup, c’est là le progrès.

Mais moi, je n’ai pas oublié ce vieux proverbe qui conseille de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

Surtout quand le panier est grand ouvert, afin que des autorités à l’éthique douteuse puissent regarder dedans et se servir comme bon leur semble !

Car ce « progrès », s’il advient effectivement, s’apparentera à une perte non pas d’identité, mais d’intimité et de liberté.

Crédit social et chantage permanent

Nous avons déjà vu la logique à l’œuvre avec le pass vaccinal : sous couvert de nous rendre notre liberté, il s’agissait de la conditionner à un acte médical.

Notre liberté de mouvement, de voyager en train, d’entrer dans un restaurant, dans un cinéma, était suspendue à notre obéissance : avait-on bien effectué sa Nième dose à la date X, comme demandé par les autorités ?

Imaginez maintenant la réunion de ces deux outils : la reconnaissance faciale, partout, tout le temps, et le portefeuille numérique.

Il ne s’agira alors plus seulement de conditionner vos mouvements à un acte médical.

Dans moins de dix ans, en France, le ministère de l’intérieur (ou quelle que soit l’autorité qui aura la gestion de ce système de contrôle et de surveillance avancée) pourra retrouver dans ses vastes bases de données que vous étiez dans telle rue de Toulon, tel jour, à telle heure.

Mieux encore, dès que vous serez identifié entrant dans votre banque, dans votre supermarché ou dans votre parking, il suffira d’appuyer sur un bouton pour qu’apparaissent immédiatement sur un écran, dans un bureau de surveillance, votre nom, votre âge, votre poids, vos antécédents médicaux, votre casier judiciaire, vos contrats d’assurance.

Mais ce n’est pas encore la meilleure partie : si l’on juge que vous n’avez pas été un bon citoyen, que vous avez désobéi, soit parce que vous n’êtes pas à jour de vos vaccins, soit parce que vous avez grillé trois feux rouges ce mois-ci, soit parce que vous n’avez pas respecté votre rationnement énergétique, vos accès – qu’ils soient bancaires, électriques, sociaux – pourront être limités, voire coupés, en mesure de punition.

Ce cauchemar à horizon, mettons, dix ans, c’est déjà ce que vit la population chinoise aujourd’hui.

Pour vous faire une idée de ce cauchemar, je vous recommande de voir le film documentaire Ma femme a du crédit, diffusé pour la première fois en février dernier, et visionnable intégralement sur Youtube[5] : le journaliste français Sébastien le Belzic y enquête sur le quotidien du milliard de Chinois assujettis au système de crédit social mis en place par le gouvernement en 2014.

Par ce système, les citoyens chinois sont non seulement filmés et identifiés en permanence, mais notés en fonction de leur comportement.

Si leur comportement est jugé civique et loyal, ils gagnent des points ; s’il est jugé incivique ou déloyal, ils en perdent.

Leur solde de points est consultable à tout moment sur leur smartphone, qui leur sert par ailleurs à absolument tout : réserver un taxi, aller chez le coiffeur, et payer.

Tous ces mouvements, toutes ces données, sont récoltées par ce que le réalisateur nomme la grande moissonneuse digitale : l’État, qui distribue et retire les points, et gère les données personnelles des centaines de millions de ses citoyens… qu’elle donne ou vend ensuite aux industriels de la tech.

C’est ce qu’on appelle le Big Data, poussé à une sophistication étourdissante : chaque citoyen chinois dispose d’un « double » numérique dans les fichiers de l’État, compilant ses habitudes de consommation, son casier judiciaire, ses notations bancaires.

Les applications, vous les connaissez déjà : c’est, comme je vous le rappelais il y a quelques jours, la possibilité d’avoir du jour au lendemain ses avoirs bancaires gelés parce que vos positions politiques ne sont pas du goût du gouvernement, comme cela s’est produit en début d’année au Canada chez les camionneurs grévistes.

Sommes-nous condamnés à être surveillés et tracés en permanence ?

Ce contrôle des personnes à l’échelle nationale, telle qu’elle est pratiquée en Chine, est possible en Europe : ses principaux outils – la reconnaissance faciale, le QR code, le portefeuille numérique – sont soit déjà prêts, soit sur le point de l’être.

Leur mise en application – ou pour être plus précis, le degré de leur application – ne dépend que des politiques.

Autrement dit, en dernier ressort : de nous.

Revenons aux lunettes à rayon X du début de cette lettre : à titre personnel, je me sentirais angoissé et humilié qu’une technologie soit capable de me mettre à nu sans que je ne le sache ni surtout le souhaite.

De « voir » qui je suis, ce que j’aime, ce que je pense ; combien je gagne, quels problèmes de santé j’ai, quels endroits j’ai fréquentés le mois dernier ; me note sur ce que je fais bien ou mal selon ses critères ; et ce à toute heure du jour et de la nuit, dès que je mets un pas dans la rue.

Ce traçage permanent, les citoyens chinois semblent s’y être pliés, habitués.

A mes yeux, ce n’est pas seulement infantilisant : c’est dégradant.

Or, malgré nos professions de foi démocratiques, nous y courons tête baissée.

Apple et Google proposent de nous identifier sur nos téléphones via la reconnaissance faciale : On y va !

Les applications se multiplient pour payer avec nos téléphones : on marche !

Le grand test a eu lieu en début d’année : la vie sociale déterminée par la lecture d’un QR code attestant de l’inoculation d’un produit pharmaceutique : nous avons couru !

Tout cela nous paraît fantastique, pratique et même ludique, comme les lunettes de James Bond : jusqu’à ce que nous nous rendions compte que ces gadgets techniques que nous avons plébiscités nous ont coûté notre liberté, notre intimité, et notre dignité.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

[1] Ju. M. avec AFP (12.05.2022). Vers une expérimentation de la vidéosurveillance avec reconnaissance faciale ? Le Progrès. https://www.leprogres.fr/societe/2022/05/12/vers-une-experimentation-de-la-videosurveillance-avec-reconnaissance-faciale

[2] Reltien P (05.09.2020). Reconnaissance faciale : officiellement interdite, elle se met peu à peu en place. France inter. https://www.radiofrance.fr/franceinter/reconnaissance-faciale-officiellement-interdite-elle-se-met-peu-a-peu-en-place-3514114

[3] Carlié M (16.01.2020). Valenciennes : Pourquoi le géant Huawei a-t-il offert 240 caméras de surveillance à la Ville ? Europe 1. https://www.europe1.fr/societe/valenciennes-huawei-a-offert-240-cameras-de-surveillance-a-la-ville-3943387

[4] Site web officiel de l’Union européenne. Identité numérique européenne. https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/european-digital-identity_fr

[5] https://www.youtube.com/watch?v=Jt2HA7jfzj8