Chers amis,

Comme promis, je vous livre aujourd’hui la seconde partie de mes recherches sur les nombreuses incertitudes qui entourent l’épidémie de coronavirus.

6. On ne sait pas grand-chose sur les mutations du virus

Tous les virus mutent, c’est un processus naturel et aléatoire. Dans le cas du SARS-CoV-2, le virus responsable du Covid-19, il semblerait que son génome mute relativement lentement.

Depuis le début de l’épidémie, l’écart entre les nouveaux génomes séquencés et le tout premier est de moins de 20 lettres de code génétique sur 30 000 lettres environ. À titre de comparaison, cet écart est de plus de 1 000 lettres entre la chauve-souris suspectée d’être le réservoir du virus, et le premier humain touché.

Le taux de mutation du SARS-COV-2 est ainsi estimé à moins de 25 mutations par an, d’après l’observatoire NextStrains [1], pour un taux de changement annuel d’environ 0,08 %, ce qui serait moitié moins que celui du virus de l’influenza responsable de la grippe, et aussi inférieur à celui du VIH.

Il n’existe pas, à ce jour, de « souches » du virus suffisamment distinctes pour les considérer comme différentes dans leurs effets cliniques, contrairement à ce qu’avaient annoncé certains chercheurs au début de l’épidémie. Les différentes mutations identifiées permettent néanmoins de retracer la propagation du virus en Asie, en Europe et aux États-Unis.

Jusqu’ici, on ne constatait que de petites mutations. Mais une première « grosse » mutation a été découverte ce 20 avril [2]. Par ailleurs, une étude chinoise publiée ce 21 avril (encore non validée, mais effectuée par un chercheur réputé) estime que les mutations sont beaucoup plus nombreuses qu’on ne le pensait. Elle avance l’hypothèse qu’il existe bien différentes souches, et que celle qu’on retrouve en Europe et à New York serait plus agressive [3].

Pourquoi c’est important :

Les mutations génétiques constituent une donnée importante pour l’élaboration d’un vaccin : les virus échappent d’autant plus facilement aux vaccins que leur génome est fréquemment modifié au fil des mutations. La vitesse lente de mutation du virus observée pour le moment laisse envisager la possibilité d’un vaccin unique (150 projets de vaccin sont actuellement à l’étude dans le monde). Surtout, cela signifierait que l’immunité acquise des personnes guéries pourrait être durable, pendant au moins plusieurs mois, voire plusieurs années.

Le risque majeur, pour l’instant de l’ordre du « scénario catastrophe », mais surveillé de près par les chercheurs, est le risque d’une mutation qui modifierait significativement la dangerosité du virus. En changeant son comportement, le virus pourrait devenir plus contagieux ou plus létal… Mais, a contrario, certaines mutations pourraient le rendre moins dangereux, voire inopérant !

7. On ne connaît pas encore précisément la mortalité

La sévérité exacte du Covid-19 reste à préciser, notamment parce que plusieurs manières de calculer le taux de mortalité cohabitent. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) établissait le 28 mars la létalité (nombre de morts divisé par nombre de cas confirmés) à 4,6 %.

En réalité, si on intègre une estimation des cas non détectés (responsables de 80 % des infections), « cela donne sans doute un taux de mortalité autour de 1 % », soit « 10 fois plus que la grippe saisonnière », a expliqué il y a quelques semaines l’Américain Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des maladies infectieuses.

La dangerosité d’une maladie dépend aussi de sa faculté à se répandre plus ou moins largement. Même si seulement 1 % des malades meurt, le nombre de morts peut être important si la maladie touche une grosse proportion de la population et si les hôpitaux sont saturés, ne parvenant plus à prendre en charge convenablement tous les patients.

L’excès de mortalité – soit le surplus du nombre de morts survenus au premier trimestre 2020 par rapport aux années précédentes – est également utilisé pour jauger la sévérité d’une maladie. Cela permet notamment de prendre en compte l’impact indirect de la crise sanitaire, comme le cas de patients décédés d’une autre pathologie parce qu’ils n’ont pas osé se rendre à l’hôpital à temps. Les premiers chiffres commencent à tomber : l’Italie du Nord compte chaque jour presque le double de décès par rapport à la moyenne.

Des problèmes de remontée des chiffres (par exemple dans les Ehpad, où les décès n’ont pu être comptabilisés qu’après plusieurs semaines en France), et l’opacité de certains gouvernements accentuent l’imprécision de ces chiffres. 

En tout état de cause, la mortalité exacte du Covid-19 ne sera connue qu’une fois l’épidémie terminée.

8. On ne sait pas le rôle joué par les enfants

Une certitude : les enfants sont, dans leur immense majorité, nettement moins touchés par le Covid-19 que leurs aînés. Les moins de 15 ans représentent moins de 1 % des hospitalisations liées au Covid-19 en France, d’après le dernier bilan épidémiologique de Santé publique France.

Mais les scientifiques émettent encore de sérieux doutes quant au rôle exact qu’ils pourraient jouer dans la propagation de la maladie. En tant que porteurs sains, sont-ils de « super propagateurs » ?

Jusqu’à présent, on considérait les enfants très peu malades, mais plus contagieux que les adultes, donc grandement transmetteurs du Covid-19. C’est depuis le début de l’épidémie une hypothèse largement répandue, fondée sur d’autre virus, comme la grippe. Mais comme les enfants développent peu ou pas de symptômes, certains médecins se demandent si, finalement, beaucoup sont réellement infectés.

Des études sont menées en ce moment pour évaluer le pourcentage d’enfants réellement contaminés et la répercussion que cela peut avoir sur les adultes.

L’une d’elles est en cours en Île-de-France. Les premiers résultats seront publiés dans un mois. Pour en savoir plus sur la question de l’immunité des enfants, je vous invite à relire la news intitulée « Les enfants sont-ils vraiment des porteurs sains ? », que nous vous avons envoyée ce lundi 20 avril.

Les données actuelles ne permettent de tirer aucune conclusion définitive. Mais ce point est crucial, car c’est lui qui a légitimé la fermeture des écoles dans de nombreux pays, et qui tendrait aujourd’hui à légitimer leur réouverture.

9. On ne sait pas si les animaux domestiques sont contagieux

Des chats, des chiens et même un tigre : plusieurs animaux ont été testés positifs au SARS-CoV-2, sans qu’aucune transmission d’un animal de compagnie vers un humain n’ait toutefois été constatée.

Une étude a mis en évidence une reproduction virale chez certains d’entre eux (chats, furets), tandis qu’une autre étude, menée sur des animaux de compagnie dont les maîtres étaient malades, n’a pu observer un quelconque développement d’anticorps contre le coronavirus. Les animaux pourraient aussi transmettre le virus via leur pelage, au même titre qu’une poignée de porte contaminée.

Tant que le mécanisme de pénétration du coronavirus dans les cellules reste à éclaircir, une contagion via les animaux domestiques est envisageable. Bien que la rareté des cas d’animaux infectés rapportés permet d’estimer qu’elle demeure improbable.

10. On ne sait pas comment a commencé l’épidémie

Enfin, les scientifiques ne savent pas exactement d’où vient le Covid-19. Des analyses de son génome suggèrent qu’il aurait émergé à partir de coronavirus de chauves-souris chinoises via des recombinaisons génétiques, comme cela a déjà été observé pour d’autres coronavirus.

Mais on ne sait pas avec certitude si cette « chauve-souris zéro » était présente sur le marché sauvage de Wuhan ou, comme l’avancent certains médias américains, si cette chauve-souris était étudiée dans un des laboratoires de l’Institut de virologie de Wuhan et aurait contaminé un employé [4].

Comment le coronavirus a franchi la barrière interespèces pour en arriver à contaminer l’humain ? A-t-il « sauté » de la chauve-souris à l’homme ? Ou bien y a-t-il eu un ou plusieurs hôtes intermédiaires ?

Un temps favorisée, l’hypothèse du pangolin tend à être abandonnée. Les chercheurs évoquent désormais les pistes du cochon ou de la civette, un mammifère à mi-chemin entre la panthère et le blaireau.

Pourquoi c’est important :

La connaissance de l’origine du virus est cruciale pour éviter sa réapparition, par exemple en surveillant mieux les animaux hôtes ou en luttant contre les conditions (élevage intensif, par exemple) qui auraient favorisé son apparition.

Une seule solution : accepter l’incertitude

Toutes ces incertitudes expliquent en partie les nombreuses zones d’ombres qui demeurent sur les plans de déconfinement décidés par la France, et tous les autres pays du monde.

Nous sommes tous obligés d’accepter cette incertitude : ce qu’on croyait vrai un jour, ne l’est plus forcément une semaine plus tard, ce qui est « très probable » un jour, ne l’est plus tant que ça le lendemain, et ce qu’on croyait sans danger en janvier, s’avère en fait présenter un risque en mars… Et ainsi de suite.

L’usage du conditionnel n’a jamais été autant de rigueur, et les contradictions apparentes dans les recommandations peuvent s’expliquer par de nouveaux résultats d’études scientifiques.

Mais si cette incertitude nous déstabilise tant, ne nous renvoie-t-elle pas en vérité à une incertitude plus profonde, plus existentielle ?

Je vous laisse sur cette parole attribuée au philosophe Sénèque que nous a envoyée Marie, une lectrice assidue : « La vie, ce n’est pas d’attendre que les orages passent. C’est d’apprendre comment danser sous la pluie. »

Portez-vous bien,

Malik

[1] “Genomic epidemiology of novel coronavirus – Global subsampling”, NextStrain, observatoire phylodynamique de l’évolution du Covid-10,  https://nextstrain.org/ncov/global?l=clock

[2] Eléonore Solé, “Une étude préliminaire aurait identifié la première mutation du coronavirus”, Futura Santé, 18 avril, disponible sur : https://www.futura-sciences.com/sante/breves/coronavirus-etude-preliminaire-aurait-identifie-premiere-mutation-coronavirus-2423/

[3] “La souche du Covid-19 présente en Europe serait plus mortelle que celle des États-Unis”, Yahoo Actualités, 21 avril, disponible sur : https://fr.news.yahoo.com/coronavirus-souche-covid-19-europe-plus-mortelle-que-etats-unis-102820800.html

[4] Chloé Hecketsweiler, “Coronavirus : le SARS-CoV-2 est-il sorti d’un laboratoire ?”, Le Monde, 17 avril 2020, disponible sur : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/04/17/le-sars-cov-2-est-il-sorti-d-un-laboratoire_6036926_1650684.html