Pour faire face au virus, l’hypothèse de l’immunité collective a souvent été mise sur la table. Mais peut-on tout miser sur cette stratégie ? Plusieurs scientifiques en doutent.

L’immunité collective, c’est quoi ?

Quand notre corps est attaqué par un virus (un agent pathogène extérieur), il produit des anticorps, qui finissent par nous immuniser contre une réinfection, si tant est que le virus ne mute pas suffisamment entre temps.

Lorsqu’un virus a énormément circulé au sein d’une même population, et qu’une part significative du groupe est alors immunisée, le risque de rencontre entre un malade et une personne non-immunisée diminue. La propagation de la maladie est donc enrayée d’elle-même.

L’immunité ne s’applique donc pas seulement aux maladies infectieuses et nécessite que certains individus soient immunisés via, par exemple, la vaccination ou le développement d’anticorps dû à une primo-contamination.

Mais voilà, il n’y a pas de « recette miracle à l’immunité ». Le seuil de personnes immunisées nécessaire à l’arrêt de la propagation du virus dépend de la contagiosité des pathologies.

Par exemple, pour la grippe saisonnière, on estime que 20 à 30 %[1] de la population est susceptible de contracter le virus chaque année, les autres étant immunisés par une précédente contamination ou s’étant fait vacciner.

Pour la rougeole en revanche, c’est beaucoup plus : les épidémiologistes ont observé qu’en-dessous de 95 % de personnes immunisées, ce virus revenait en France. C’est pour cette raison que le vaccin a été rendu obligatoire.

Selon les scientifiques, dans le cadre du Covid-19, il faudrait au moins 60 %[2] de la population contaminée pour obtenir une immunité. Mais encore une fois, ce chiffre est approximatif. Au début de la pandémie, certains l’estimaient à 40 %. Depuis, ce chiffre ne cesse d’augmenter, et les scientifiques sont d’accord sur une chose : ce n’est pas moins de 60 %. Dans un article publié aujourd’hui dans le journal Le Monde, certains parlent de 70 %[3].

Est-ce qu’on en est loin ?

Sans tests sérologiques suffisants (prises de sang), il est délicat d’estimer le pourcentage de la population française immunisée. Certains chercheurs avancent le chiffre de 3 à 5 % en moyenne ; dans les régions les plus touchées, ce chiffre peut atteindre 12 %[4].

Dans une étude récente[5], des chercheurs de l’Institut Pasteur, de Santé publique France et de l’Inserm estiment que 5,7 % de la population française aura été infectée d’ici le 11 mai.

Pour vérifier ces estimations, il faudrait pouvoir tester tout le monde. Or, cela semble compromis pour le moment, même si l’État français a fortement élargi le nombre de laboratoires habilités à réaliser ces tests[6].

Outre la question du nombre de tests insuffisants pour établir une photographie représentative de la population immunisée, certains remettent en cause la fiabilité de ces tests, et ce pour trois raisons :

  • Sur la centaine de tests sérologiques existants, la moitié n’a pas été testée par les autorités sanitaires avant leur mise sur le marché. Il est donc possible que certains tests indiquent des faux positifs ou des faux négatifs[7].
  • Les anticorps pourraient mettre 15 jours à apparaître après la contamination initiale, et même jusqu’à 28 jours, notamment chez les sujets asymptomatiques, selon le professeur Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique sur le Covid-19. Cela signifie que si un patient fait un test trop tôt, il se pourrait que le résultat du test soit faussé[8].
  • Même dans le cas où les tests fonctionnent, la lecture du test peut être erronée. « C’est l’interprétation qui est délicate et soumise aux recommandations scientifiques », explique Johan Joly, du laboratoire Biolam de Beauvais[9].

Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas aller se faire tester lorsque vous en aurez l’opportunité. Certains concepteurs de tests sont sérieux et les contrôles vont être renforcés. En France, l’Institut Pasteur (centre national de référence pour les virus des infections respiratoires) a été mandaté pour y voir plus clair parmi la profusion de tests proposés par l’industrie pharmaceutique[10]C’est donc une bonne chose de se faire tester, surtout si vous avez été malade. Par contre, il faudra attendre au moins 15 jours après votre guérison pour que ce test soit fiable.

Peut-on atteindre l’immunité collective ?       

Certains scientifiques doutent qu’on puisse atteindre cette immunité collective, du moins pas sans vaccin.

Les auteurs de l’étude récente sur l’immunité en France rejoignent cet avis : « Nos résultats suggèrent fortement que, sans un vaccin, l’immunité de groupe sera insuffisante à elle seule pour éviter une seconde vague à la fin du confinement. Des mesures de contrôle efficaces devront être maintenues au-delà du 11 mai. »[11]

De plus, l’immunité face au Covid-19 n’agit probablement pas au long terme, selon les experts. Il faudrait donc une large proportion de personnes immunisées en même temps pour que l’immunité collective fonctionne. Selon Frédéric Tanguy, spécialiste des virus à ARN du département de virologie de l’Institut Pasteur, « il est probable que chez tous les gens qui ont été infectés, l’immunité dure 3 à 6 mois. Si elle durait moins, ce serait exceptionnel pour un virus de ce genre. »

Le principal sujet de préoccupation chez les scientifiques tient à la nature particulière du Covid-19. La contagiosité du virus est beaucoup plus importante que la grippe saisonnière. Comme il semble plus résistant, le pourcentage de personnes devant être immunisées pour que l’ensemble de la population soit protégé est probablement très élevé.

Pour assurer une immunité collective, il faudrait d’abord s’assurer que les personnes guéries produisent assez d’anticorps, sur une durée suffisamment longue. Or, selon certains médecins, des patients pourtant contaminés au Covid-19 ne produiraient pas ou peu d’anticorps séro-neutralisants, et pourraient donc être potentiellement contaminées une seconde fois.

Plusieurs études vont en ce sens :

  • Selon les premiers résultats d’une étude chinoise, des chercheurs ont analysé le plasma sanguin de 175 malades hospitalisés en février à Shanghai, diagnostiqués Covid-19 et guéris. Parmi eux, environ 30 % n’avaient produit qu’un très faible taux d’anticorps neutralisants au moment de quitter l’hôpital[12].
  • Un rapport médical d’un hôpital de Corée du Sud va plus loin et rapporte que 91 patients qui avaient guéri du virus (un diagnostic confirmé par un résultat de test négatif) avaient par la suite été testés positifs[13].

Cela dit, parmi les patients testés positifs après guérison, beaucoup de chercheurs pensent qu’il s’agit surtout de personnes qui n’étaient pas encore totalement guéries, et dont le code génétique du coronavirus perdurait encore dans leur corps. « Les tests sont extrêmement sensibles et auraient pu détecter des traces persistantes de matériel génétique provenant d’un virus non viable », précise Vineet Menachery, virologue à l’Université du Texas à Galveston[14].

À ce stade, il est cependant impossible de savoir si ces personnes ont été contaminées une deuxième fois par le virus (ce qui signifierait qu’elles n’avaient pas développé d’immunité), ou bien si la charge virale n’avait en réalité pas été totalement éradiquée.

Nous devons donc continuer d’appliquer les gestes barrières, même après le déconfinement.

Prenez soin de vous, 

Floriane

[1] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-on-vous-explique-le-principe-de-l-immunite-collective-sur-laquelle-misent-le-royaume-uni-et-les-pays-bas_3871461.html

[2] https://www.europe1.fr/sante/coronavirus-la-piste-de-limmunite-collective-pour-combattre-lepidemie-souleve-des-questions-3961812 

[3] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/21/coronavirus-5-7-de-la-population-francaise-aura-ete-infectee-le-11-mai-selon-une-etude-inedite_6037269_3244.html 

[4] https://www.europe1.fr/sante/coronavirus-la-piste-de-limmunite-collective-pour-combattre-lepidemie-souleve-des-questions-3961812 

[5] https://hal-pasteur.archives-ouvertes.fr/pasteur-02548181 

[6] https://www.usinenouvelle.com/article/tests-serologiques-production-en-france-cinq-questions-cles-sur-les-tests-de-depistage-du-covid-19.N953681

[7] https://www.lefigaro.fr/sciences/coronavirus-la-fiabilite-des-tests-reste-a-evaluer-en-europe-et-en-france-20200402

[8] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/positif-au-covid-19-donc-immunise-contre-la-maladie-on-vous-explique-pourquoi-ce-n-est-pas-si-simple_3908565.html

[9] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/positif-au-covid-19-donc-immunise-contre-la-maladie-on-vous-explique-pourquoi-ce-n-est-pas-si-simple_3908565.html

[10] https://www.pasteur.fr/fr/espace-presse/documents-presse/tests-diagnostic-infections-sars-cov-2

[11] https://hal-pasteur.archives-ouvertes.fr/pasteur-02548181

[12] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.30.20047365v2

[13] https://www.washingtonpost.com/health/coronavirus-immunity-remains-big-question-mark-for-a-country-eager-to-reopen/2020/04/14/2c8ccbf4-7e49-11ea-a3ee-13e1ae0a3571_story.html

[14] https://www.washingtonpost.com/health/coronavirus-immunity-remains-big-question-mark-for-a-country-eager-to-reopen/2020/04/14/2c8ccbf4-7e49-11ea-a3ee-13e1ae0a3571_story.html