Chers amis,

Ma dernière lettre sur la testostérone vous a fait réagir et poser plusieurs questions.

Le problème avec la testostérone, c’est qu’elle véhicule beaucoup de clichés, aussi bien auprès du grand public que du corps médical.

Voici les trois principales idées reçues à propos desquelles j’aimerais vous apporter des explications.

Idée reçue n°1 : la testostérone, l’hormone « pour nous les hommes »

La première erreur, la plus commune, est de croire que la testostérone serait une hormone exclusivement masculine.

Cette erreur est compréhensible car la testostérone fait partie de la famille des hormones androgènes, dont le nom vient du grec « andros », « homme ».

Et de fait, produite à partir du cholestérol par les organes génitaux, la testostérone joue bien entendu un rôle dans l’affirmation des caractères masculins à la puberté.

Ce qu’on sait moins c’est que les ovaires des femmes produisent également de la testostérone et elle joue aussi un rôle dans la santé de la femme adulte !

Bien que le taux de cette hormone soit en moyenne 20 fois plus faible chez les femmes que chez les hommes, une baisse de ce taux peut avoir des conséquences sérieuses… chez vous Mesdames.

On parle chez la femme de syndrome d’insuffisance en hormones mâles ou déficit androgénique[1]. Son tableau clinique est connu :

  • Perte de cheveux au sommet du crâne ;
  • Muscles peu développés et tombants ;
  • Cellulite ;
  • Varices ;
  • Baisse d’énergie et du bien-être ;
  • Crises émotionnelles ;
  • Sexualité endormie.

Donner des hormones androgènes aux femmes concernées fait un peu peur. Les femmes craignent le risque de masculinisation du corps, comme par exemple l’apparition d’une moustache.

D’après le Dr Thierry Hertoghe, l’un des grands experts mondiaux de la médecine hormonale, ces effets secondaires sont rarissimes et facilement réversibles : ce serait une question de dosage[2].

Au-delà de la libido et de la forme physique, la Revue Médicale suisse, comme toujours très mesurée, recense plusieurs effets positifs d’une thérapie androgénique chez la femme, notamment une amélioration de la mémoire et de l’attention[3] ainsi qu’une amélioration de l’humeur[4].

Elle recommande de ne pas la prolonger plus de six mois et la déconseille seulement en cas d’antécédents cardiovasculaires, de maladie hépatique et de cancer du sein[5].

Idée reçue n°2 : la testostérone rend fort

La testostérone joue un rôle important dans le maintien de la masse musculaire chez l’homme comme chez la femme, mais prétendre que c’est elle qui rendrait « fort » et « musclé » est un raccourci.

La testostérone vient loin derrière, pour la masse musculaire, un apport en protéines et une activité physique satisfaisants[6]. 

Prendre des suppléments de testostérone n’est donc adapté que si vous voulez faire de la gonflette façon Arnold Schwarzenegger… ! mais sachez que l’effet retombe comme un soufflé dès qu’on arrête d’en prendre.

Cette vision de la « testostérone qui rend fort et musclé » est responsable d’un des plus grands fléaux modernes : le dopage. L’usage de stéroïdes androgéniques, aussi appelés anabolisants, est répandu dans le monde du sport. Lance Armstrong a « gagné » sept tours de France en prenant des anabolisants au nez et à la barbe des contrôles anti-dopage.

Ce qu’on ne sait pas, c’est que ces prises à hautes doses de testostérone sont responsable de méfaits irréversibles[7] :

  • Détérioration des cellules hépatiques (du foie) et apparition de tumeurs hépatiques (cancer du foie) ;
  • Ruptures tendineuses ;
  • Hémorragies digestives ;
  • Maladies cardiovasculaires (infarctus, hypertension) ;
  • Diabète ;
  • Œdèmes ;
  • Augmentation du risque de suicide…

Lance Armstrong a lui-même admis que le lien entre son dopage « perfectionné » et son cancer des testicules était probable[8]. Chez les jeunes athlètes, la prise d’anabolisants aurait pour conséquence de ralentir voire stopper la croissance et de développer des comportements trop violents dans la pratique de leur sport[9].

Cela nous amène à la troisième idée reçue sur la testostérone…

Idée reçue n°3 : la testostérone rend combatif et agressif

…que la testostérone rendrait combatif et agressif.

Là encore, il y a une base scientifique à cela, mais les choses sont plus compliquées qu’elles n’en ont l’air.

Dans les années 1980, des études menées sur les populations des prisons des États-Unis ont montré que les tests salivaires des hommes emprisonnés pour des crimes violents (viols, meurtres, etc.) étaient plus riches en testostérone que ceux des hommes emprisonnés pour d’autres motifs[10].

Quelques années plus tard, les mêmes chercheurs ont démontré, sur une cohorte de 4500 soldats de l’armée américaine, que les niveaux sanguins de testostérone étaient plus élevés chez les soldats qui faisaient régulièrement preuve de comportements violents et « antisociaux »[11].

Voici donc qui accréditerait la thèse « testostérone = agressivité ».

Mais ce n’est pas si simple.

Des effets positifs sur le comportement, aussi !

D’abord, les études que j’ai mentionnées précisent qu’un fort taux de testostérone ne suffit pas à expliquer ces comportements plus violents que la norme.

Car des comportements violents sont quasi-toujours corrélés au niveau socio-éducatif de la personne. Sans « filtre éducatif », l’homme laisse plus facilement libre cours à ses pulsions.

Surtout, des études récentes ont montré qu’une « richesse » en testostérone ne conduirait pas « par nature » à un comportement agressif, mais qu’elle peut aussi inciter un homme recevant un supplément de testostérone à adopter un comportement considéré comme positif.

Le mécanisme est identique, c’est simplement le contexte qui fait la différence.

Soyez observé par quelqu’un, vous aurez la testostérone généreuse !

Des chercheurs chinois ont voulu observer l’effet de la testostérone sur… la générosité. Ils ont réparti 140 jeunes hommes volontaires : un groupe recevait de la testostérone en gel sur les épaules (une façon courante de se supplémenter en testostérone) et l’autre un placébo.

Les chercheurs ont observé que les jeunes hommes supplémentés en testostérone se montraient spectaculairement plus enclins que les autres à faire un don pour une œuvre de charité[12] !

En creusant leurs observations, ils ont aussi remarqué que les jeunes hommes testostéronés se montraient plus généreux s’ils étaient observés par quelqu’un. Autrement dit, la générosité était pour eux le moyen de se mettre en avant.

La testostérone ne les a donc pas rendus plus généreux. Mais à aller « plus loin » dans une action qu’ils jugeaient bonne.

La conclusion est donc celle-ci : la testostérone n’est pas une hormone qui, en soi, rendrait plus agressif ou plus violent.

C’est une hormone qui nous pousse en avant, nous incite à nous imposer et à adapter notre comportement à ce qui est valorisé.

Si vous vous trouvez au milieu d’un bal, un fort taux de testostérone ne devrait donc pas vous inciter à gifler les autres danseurs… mais à vous défaire de votre timidité et à danser plus follement, plus longtemps et… sans doute mieux !

Les pesticides et phtalates à l’attaque de notre testostérone

Pour finir, si je ne suis pas du tout favorable à la prise de testostérone en-dehors d’une démarche médicale, je suis inquiet d’un dernier sujet : notre production naturelle de testostérone, comme pour les autres hormones sexuelles, est affectée par les produits de l’industrie agro-alimentaire.

La testostérone est en effet l’une des victimes des « perturbateurs endocriniens », issus aussi bien des phtalates des emballages de fast-food que des pesticides.

Une étude publiée il y a quelques mois démontrait, par exemple, une « corrélation sévèrement négative » entre l’exposition aux pesticides et le taux de testostérone d’agriculteurs[13].

Et cela est vraiment préoccupant. Pour les hommes comme pour les femmes.

Portez-vous bien,
Rodolphe 


[1] Bachmann G, Bancroft J, Braunstein G, et al. Female androgen insufficiency: the Princeton consensus statement on definition, classification, and assessment. Fertil Steril. 2002;77(4):660-665. doi:10.1016/s0015-0282(02)02969-2

[2] Dr Thierry Hertoghe, « La testostérone pour les femmes », La Lettre du docteur Thierry Hertogue, décembre 2014 https://search.snieditions.com/documents/LettreThierryHertoghe/LettreThierryHertoghe-25-D%C3%A9cembre-2014-Testosterone-pour-femmes-SD-0W.pdf#page=7

[3] Arte W. Androgen therapy in women. Eur J Endocrinol 2006;154;1-11

[4] Miller KK, Grieco KA, Klibanski A. Testosterone administration in women with anorexia nervosa. J Clin Endocrinol Metab 2005;90:1428-33

[5] R. Martin-Du Pan, Déficit en androgènes chez la femme : indications et risques d’un traitement par la testostérone ou la DHEA, Rev Med Suisse 2007; volume 3. 32157 https://www.revmed.ch/RMS/2007/RMS-104/32157

[6] J.C. CHATARD, M. DUCLOS, D. ROSSI, J. TOSTAIN, « Androgènes et composition corporelle », 2004, Association française d’urologie, consulté en juillet 2020, disponible sur : https://www.urofrance.org/base-bibliographique/androgenes-et-composition-corporelle-androgenes-muscle-squelettique-et-exercice

[7] P. Lambert, « La rage meurtrière de l’Homo anabolicus », Le Spécialiste, septembre 2019, consulté en juillet 2020, disponible sur : https://www.lespecialiste.be/fr/actualites/medical/la-rage-meurtriere-de-l-rsquo-homo-anabolicus.html

[8] « Lance Armstrong n’exclut pas un lien entre le dopage et son cancer des testicules », Le Figaro, mai 2020, consulté en juillet 2020, disponible sur : https://sport24.lefigaro.fr/cyclisme/actualites/lance-armstrong-n-exclut-pas-un-lien-entre-le-dopage-et-son-cancer-des-testicule-1002351

[9] Kevin M. Beaver et al. Anabolic-Androgenic Steroid Use and Involvement in Violent Behavior in a Nationally Representative Sample of Young Adult Males in the United States. Am J Public Health. 2008 December; 98(12): 2185–2187

[10] Dabbs JM Jr et al. Saliva testosterone and criminal violence in young adult prison inmates. Psychosom Med. 1987 Mar-Apr;49(2):174-82

[11] Dabbs JM Jr, Morris R: Testosterone, social class, and antisocial behavior in a sample of 4,462 men. Psychol Sci, 1990; 1: 209–1

[12] Zhang Yinhua, Ou Jianxin, Hu Yang and Zilioli Samuele, 2020, Exogenous testosterone increases the audience effect in healthy males: evidence for the social status hypothesisProc. R. Soc. B.28720200976 http://doi.org/10.1098/rspb.2020.0976

[13] Panuwet P, Ladva C, Barr DB, et al. Investigation of associations between exposures to pesticides and testosterone levels in Thai farmers. Arch Environ Occup Health. 2018;73(4):205-218. doi:10.1080/19338244.2017.1378606