Chers amis,

Pourquoi boire du lait à l’âge adulte peut-il poser problème ?

Parce que la lactase, l’enzyme qui nous permet de digérer le lactose (le principal glucide du lait), baisse naturellement dès l’âge de 4 ou 5 ans. Ceci est encore le cas pour les trois quarts de la population mondiale[1].

Il y a environ 10 000 ans cependant, une mutation génétique a commencé à se répandre dans les populations de l’Europe jusqu’à l’Irak : l’être humain adulte a continué à produire la lactase et a donc pu continuer à boire du lait.

Aujourd’hui, 95 % de la population européenne est dotée de cette mutation génétique. À l’inverse, près de 90 % de la population asiatique en est dépourvue[2].

De nos jours, les personnes ne produisant plus ou plus assez de lactase sont dites « intolérantes au lactose » et sont prises de maux de ventre, de flatulence voire de diarrhées et de vomissements si elles boivent du lait.

Si vous digérez bien le lait, tant mieux. Je vous dirai pourquoi, dans une autre lettre, je ne vous recommande pas pour autant la consommation régulière de lait animal à l’âge adulte.

L’invention du lait prédigéré

La mutation permettant de boire du lait à l’âge adulte est concomitante de la domestication, en Europe et au Moyen-Orient, d’animaux comme la vache, la brebis, la chèvre : nos ancêtres ont commencé, au Néolithique, à consommer le lait de ces animaux.

Ce que je trouve fascinant, c’est qu’au même moment l’homme a trouvé une parade technique pour boire du lait animal… même s’il ne digérait pas le lactose !

Cette invention, c’est la transformation du lait en fromage ou en kéfir, sous l’action d’enzymes, de bactéries.

Le principe de cette transformation est extrêmement simple : elle consiste à « prédigérer » le lactose du lait.

À l’origine, cette transformation utilisait les enzymes naturellement présentes dans les viscères du veau ou de l’agneau.

L’estomac des jeunes ruminants contient en effet de la présure, un coagulant naturel qui permet de séparer le petit lait (liquide, et maigre) du lait caillé (solide et gras), qui servira de base au fromage.

Autrement dit, la création de fromage reposait sur l’imitation de la digestion du jeune ruminant, grâce à cette « présure ».

Le principe du kéfir est le même – prédigérer le lactose – mais repose sur un mécanisme un peu différent.

Une légère touche d’alcool en plus…

La préparation de la boisson appelée kéfir repose sur les « grains de kéfir ».

Ces grains ne sont pas de nature végétale.

Ce sont des amalgames de bactéries et de levures vivant en symbiose, qui prennent la forme amusante de microscopiques choux-fleurs.

Il s’agit d’organismes vivants qui vont se reproduire dans du lait frais et cru, de quelque animal que ce soit.

Au bout de 24 h, le développement du kéfir rend le lait plus épais, plus acide… et légèrement alcoolisé !

Ce processus de fabrication est 100 % naturel. On en voit tout de suite les avantages, puisqu’il permet :

  • de consommer du lait sans souffrir du lactose (le lactose est « digéré » par les grains de kéfir !) ;
  • de conserver plus longtemps le lait ;
  • d’obtenir un produit légèrement alcoolisé et délicieux.

La composition du grain de kéfir vieux de 4 500 ans découvert dans le désert du Taklamakan, dont je vous ai parlé dans ma précédente lettre, est rigoureusement identique à celle encore utilisée, de nos jours, dans les régions du Caucase et du Tibet.

Mais boire du kéfir présente des bienfaits-santé qui vont bien au-delà de la seule neutralisation du lactose.

Un des plus vieux compléments alimentaires fabriqué par l’homme !

Depuis quelques années et la publication du best-seller Le Charme discret de l’intestin, de Giulia Enders, l’importance du kéfir pour la santé de la flore intestinale commence à être connue du grand public.

Cette flore nommée « microbiote intestinal » représente des dizaines de milliers de milliards de bactéries qui vivent dans notre système digestif.

Le rôle de ces bactéries est capital non seulement pour le nettoyage et l’entretien de notre ventre, mais aussi pour notre équilibre général, y compris dans nos comportements alimentaires. Des troubles comme la boulimie ou l’anorexie ont récemment pu être associés à de « mauvaises » bactéries[3].

L’un des moyens les plus efficaces et faciles de cultiver, au contraire, les « bonnes » bactéries – celles qui vont renforcer notre immunité et nous protéger – c’est le recours aux probiotiques.

La Revue Médicale Suisse définit les probiotiques comme des micro-organismes qui ont un effet bénéfique chez l’homme. « Ils incluent des bactéries et des levures non pathogènes qui modulent la prolifération bactérienne de l’intestin[4]. »

Lorsque l’importance des probiotiques a commencé à être connue, les fabricants de yaourts en ont fait un argument marketing.

Mais leurs souches de bactéries ne sont pas les plus intéressantes. La plus répandue, Lactobacillus bulgaricus, n’a pas d’effet bienfaiteur sur la flore. Seule Streptococcus thermophilus est un bon probiotique.

Le kéfir au contraire apparaît comme la meilleure source de probiotiques produite par fermentation naturelle.

En quantité, il contient trois fois plus de probiotiques que le yaourt[5].

Et il offre dix à vingt souches de probiotiques différentes (un yaourt n’en contient qu’une ou deux).

Ces derniers temps, plusieurs études ont été consacrées aux effets du kéfir sur la santé.

L’une datée de 2017[6] a montré que boire du kéfir :

  • améliore la composition du microbiote ;
  • réduit la fatigue physique ;
  • améliore les performances physiques.

Une autre étude[7] présente la conclusion suivante : « la consommation régulière de kéfir de lait a été associée à une digestion améliorée et une meilleure tolérance au lactose, à un effet antibactérien, à un effet anticholestérol, au contrôle du plasma sanguin, à un effet antihypertenseur, à un effet anti-inflammatoire, une activité antioxydante, une action anticarcinogène, antiallergique, et à des effets de guérison » !

Je vous livre ma version personnelle des momies du Taklamakan : ces voyageurs devaient avoir connaissance des effets « médicamenteux » du kéfir ; c’est sans doute pourquoi ils sont partis dans le voyage pour l’autre monde avec une petite réserve…

Comment faire du kéfir ?

Vous l’avez compris, le grain de kéfir lui-même ne se mange pas. C’est la boisson issue de la fermentation des grains de kéfir qui se consomme.

Attention : le kéfir que vous trouverez en supermarché n’est qu’un yaourt amélioré.

Pour consommer un kéfir réellement riche en probiotiques il faut le fabriquer soi-même.

Certaines boutiques bio vendent des grains de kéfir.

Mais les grains de kéfir s’échangent entre particuliers et gratuitement ! Vous pourrez en trouver par exemple sur le site de partage suivant : https://kefirkombucha.net/

Une fois que vous avez vos grains de kéfir :

  • vous plongez une cuillère à soupe de grains dans un litre de lait ;
  • vous couvrez ;
  • vous laissez à température ambiante et attendez entre 24 et 48 heures (plus il fait chaud, plus la fermentation est rapide) ;
  • vous récupérez les grains (ils peuvent resservir) en les conservant au frais.

Vous pouvez boire votre kéfir immédiatement ou le laisser maturer au frigo un ou deux jours de plus : il sera un peu plus pétillant et alcoolisé.

Observez bien ces deux règles, elles sont importantes :

1 – toujours utiliser du lait bio et cru (ça marche avec tous les laits : vache, chèvre, brebis, et même du lait d’ânesse ou de chamelle si vous en trouvez !) ;

2 – gardez vos grains de kéfir au frigo, dans du lait.

Vous m’en direz des nouvelles !

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

P.-S. : Je ne vous ai pas parlé du kéfir aux fruits, qui est très utilisé dans les protocoles de détox. Je vous renvoie aux recettes de mon ami Thomas Uhl dans son magnifique Parcours Détox.

[1] Bulhões (A. C.) et al., « Correlation between lactose absorption and the C/T-13910 and G/A-22018 mutations of the lactase-phlorizin hydrolase (LCT) gene in adult-type hypolactasia », Brazilian Journal of Medical and Biological Research, novembre 2017, vol. 40, no 11, pp. 1441-6, consulté en septembre 2019, disponible sur http://dx.doi.org/10.1590/S0100-879X2007001100004

[2] Ibid.

[3] Kaldy (P.), « La flore intestinale influence notre appétit », consulté en septembre 2019, Sciences et Avenir, 4 janvier 2015, disponible sur https://www.sciencesetavenir.fr/sante/la-flore-intestinale-influence-notre-appetit_23444

[4] Graf (C.) et Sarasin (F. P.), « Probiotiques : efficacité et dangerosité », Revue médicale suisse, 2007, vol 3, consulté en septembre 2019, disponible sur https://www.revmed.ch/RMS/2007/RMS-129/32635

[5] Beck (L.), « What’s the difference between yogurt and kefir? », 28 janvier 2013, The Globe and Mail, consulté en août 2019, disponible sur https://www.theglobeandmail.com/life/health-and-fitness/ask-a-health-expert/whats-the-difference-between-yogurt-and-kefir/article7904569/

[6] Hsu (Y.-J.) et al., « Kefir Supplementation Modifies Gut Microbiota Composition, Reduces Physical Fatigue, and Improves Exercise Performance in Mice », Nutrients, 2018, vol. 10, no 7, p. 862, consulté en septembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.3390/nu10070862

[7] Rosa (D. D.) et al., « Milk kefir: nutritional, microbiological and health benefits », Nutrition Research Reviews, juin 2017, vol. 30, no 1, pp. 82-96, consulté en septembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1017/S0954422416000275