Chers amis,

Demain doit avoir lieu à l’Assemblée nationale, en principe, le vote sur le projet de loi n°1364-A0, « relative au droit à l’aide à mourir ».

Vous pouvez consulter ce projet de loi dans le lien en source[1].

Je n’ai pas d’avis figé, idéologique, sur ce sujet brûlant. J’ai des questions. Des doutes. Et quelques peurs.

Je les partage avec vous aujourd’hui.

Pourquoi parler d’« aide à mourir » ?

Il fut un temps – pas si lointain – où l’on osait encore appeler les choses par leur nom.

Ainsi, « l’aide à mourir », en bon français, ça n’existe pas. C’est, a minima, une antiphrase. Au pire, une insulte au bon sens.

Ce projet de loi sur « l’aide à mourir » est en réalité un projet de loi sur l’euthanasie.

L’euthanasie, nous dit le Larousse, est l’« acte d’un médecin qui provoque la mort d’un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie, illégal dans la plupart des pays[2] ».

Définition claire, simple, aussi limpide que brutale.

Pourtant, ce mot ne figure nulle part dans le projet de loi.

Le rapporteur de la loi, Olivier Farloni, l’a escamoté au profit de ces termes qui, moi, me dérangent profondément, d’« aide à mourir », sous prétexte que le « vrai » mot désignant la réalité d’un médecin injectant une substance létale à un patient, a un « référentiel trop chargé ».

La belle affaire ! L’euthanasie évoque en effet l’ultime frontière éthique, l’irréversible, le geste radical de mettre fin à une vie, parfois au nom de la compassion, parfois pour échapper à une agonie jugée insupportable.

Le problème, c’est que dans « euthanasie », on entend aussi « nazi » ; nous n’atteignons pas là le point Godwin gratuitement, je vous assure ; je vais y revenir.

Aujourd’hui, donc, le projet de loi parle d’« aide à mourir », comme si la mort était un service, un accompagnement, une prestation presque douce et anodine que l’on proposerait à la carte.

Ce glissement sémantique n’a rien d’anodin. Car derrière le changement de mots, il y a un changement de regard, et la construction d’un discours de « justification ».

Ce n’est plus de l’acte dont il s’agit, mais de sa mise en récit. On n’ôte plus la vie, on « aide à mourir ».

Mais l’État et la société vous veulent-ils du bien lorsqu’ils vous « aident à mourir » ?

Supprimez cette souffrance que je ne saurais voir (ni financer)

Le débat autour de cette loi oblige tous les députés à regarder en face une réalité dérangeante.

Non pas tant la souffrance des personnes atteintes d’une maladie incurable ou d’un handicap lourd, mais la façon dont notre société et nos lois les traitent.

Je vous invite vous-même à regarder cette réalité dérangeante, comme je l’ai fait.

Et dans ce contexte, j’ai vu et entendu un témoignage qui m’a bouleversé. C’est celui de Louis Bouffard, invité sur le plateau de Christine Kelly mardi dernier.

Louis Bouffard est un étudiant en droit à la Sorbonne, atteint de la myopathie de Duchenne, une maladie neuromusculaire dégénérative. Il a perdu l’usage de ses jambes à l’âge de 10 ans, puis celui de ses bras à 13 ans ; il a besoin d’une assistance respiratoire depuis plusieurs années.

Malgré sa condition, il est actif professionnellement, ayant effectué un stage au sein du département juridique d’Eiffage Génie Civil, et… il tient à la vie, tout simplement.

Interrogé par la journaliste au sujet de la loi « relative à l’aide à mourir », il dit : « Ce texte me crée une profonde violence […] il ne faut pas oublier que la loi a un message collectif, et le message qu’elle envoie aux personnes fragiles, handicapées, malades, c’est dire : vous coûtez trop, vous êtes trop dépendants, vous êtes trop seuls, et faudrait peut-être… partir […] c’est une pression sociale à être éliminé […]

On n’a pas besoin d’une substance pour nous tuer. »

Louis Bouffard, qui dénonce le cadre juridique en réalité extrêmement flou du projet de loi, reconnaît qu’il est « éligible » à « l’aide à mourir » – c’est-à-dire en réalité donc à l’euthanasie.

Il nous met, tous, collectivement, individuellement, face à cette question : dans une société qui valorise la performance, la jeunesse, l’autonomie… que devient celui qui n’a plus rien à offrir sinon sa dépendance et sa fragilité ?

Le précédent de la « miséricorde »

Ce qui me fait froid dans le dos, c’est que, effectivement, au nom de « critères » comparables, il y a 85 ans, Adolf Hitler a autorisé un programme d’opération d’euthanasie en signant ce document :

Traduction en français :

Berlin, le 1er septembre 1939

Le Reichsleiter Bouhler  et 

le Dr. med. Brandt 

sont chargés, sous leur responsabilité, d’élargir les compétences de certains médecins désignés de manière à ce que, selon le jugement humain, les malades incurables puissent, après évaluation la plus rigoureuse de leur état de santé, se voir accorder la mort miséricordieuse.

[signé : Adolf Hitler]

Ce document constitue l’ordre officiel (bien que daté rétroactivement) qui a servi de base juridique interne au régime nazi pour lancer le programme Aktion T4, dans lequel des dizaines de milliers de personnes handicapées mentales ou physiques ont été tuées sous prétexte de leur « incurabilité ».

Je ne suis évidemment pas en train d’écrire ici que le texte de loi qui sera soumis au vote demain à l’Assemblée nationale poursuit la même fin.

Mais je souligne le fait que le grand âge, la maladie, le handicap, la solitude même, incitent aujourd’hui de nouveau à une « miséricorde » de la part de l’État, qui outrepasse ses limites éthiques.

Ce n’est pas parce que le mot « euthanasie » a été supprimé du projet de loi que l’esprit de la loi change.

Et cet esprit, pour qui sait ne serait-ce que lire entre les lignes, est profondément dérangeant.

Le discours dominant laisse entendre qu’il serait « digne » de choisir sa mort… Mais n’est-ce pas surtout notre société qui ne sait plus (ou ne veut plus) accompagner la fin de vie avec humanité ?

Si cette loi passe, quel sera le sort de ceux qui, fatigués de vivre, maltraités par la précarité ou la douleur, se sentiront invités à « ne pas peser » sur leurs proches ou sur la collectivité ?

D’accord, ils ne seront pas « euthanasiés » de force, comme sous l’ordre du régime nazi… mais ils y seront invités, voire incités.

Cela peut passer pour plus humain, mais le résultat est le même : la suppression d’une personne humaine considérée comme un fardeau et un coût par l’État.

Certes, les partisans de l’« aide à mourir » avancent souvent des cas extrêmes, poignants, pour lesquels il est difficile de ne pas éprouver de l’empathie.

Mais une loi n’est pas là pour gérer l’exception, elle façonne la norme.

Et la norme que nous risquons d’instaurer, c’est celle d’une société où l’on ne soigne plus le désespoir, où l’on ne soulage plus la douleur, mais où l’on abrège l’existence.

Une société où l’on ira jusqu’à proposer la mort, faute de savoir donner un sens à la vie.

Si la loi passe, la lettre que vous lisez me vaudra 15 000 euros d’amende

Si vous doutiez que cette loi est dangereuse dans son état actuel, il y a un article qui aggrave encore sa dangerosité.

C’est l’article 17 :

La loi promet donc un « délit d’entrave à l’aide à mourir », puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.

Il menace de sanctionner toute tentative d’empêcher, y compris en ligne, la pratique ou l’accès à l’information sur l’aide à mourir par des « moyens trompeurs » (qu’est-ce qui est considéré comme trompeur ou non ?…).

Il cible aussi les perturbations physiques (dans les lieux de soins) et les pressions morales ou intimidations. Les patients, proches et professionnels sont ainsi protégés. L’objectif affiché est de garantir une décision libre et sans interférence.

Dans les faits, si une personne de votre entourage a décidé de mettre fin à ses jours par « l’aide à mourir » et que vous tentez de lui démontrer que la vie vaut encore la peine d’être vécue, vous êtes, d’après ce texte de loi, coupable de délit d’entrave à l’aide à mourir.

Pour avoir les idées claires sur « l’aide à mourir »

Vous pouvez être d’accord ou pas avec moi.

Mais il est nécessaire d’en parler, d’en débattre, ne serait-ce qu’en votre for intérieur.

Je ne prétends pas détenir ni la vérité, ni la science de l’avenir.

Mais je veux, je peux, me semble-t-il, vous apporter des éléments déterminants pour vous aider, vous, à y voir plus clair.

Enfin, « je », pas vraiment : pour ce sujet extrêmement sensible et important, j’ai demandé ses lumières à une psychologue clinicienne que vous connaissez peut-être pour l’avoir vue et entendue dans différents médias : Marie-Estelle Dupont.

Marie-Estelle Dupont, vous vous en souvenez peut-être, a notamment été d’une lucidité et d’une clairvoyance exceptionnelles dès le début du confinement et de l’application des mesures sanitaires au printemps 2020.

Elle a averti, mis en garde, sur les débats psycho-sociaux que provoqueraient ces mesures à long terme sur la population générale, et en particulier sur les enfants.

Aujourd’hui, les faits (tentatives de suicides ayant quadruplé chez les jeunes, explosion des dépressions et troubles du comportement, etc.) lui donnent raison.

Cette semaine, elle m’a fait l’honneur et l’amitié de me dire ce qu’elle pense de « l’aide à mourir ».

Ce qu’elle dit, vous ne l’entendrez pas dans les grands médias.

Pour tout vous avouer, je voulais publier cet entretien tel quel sur ma chaîne YouTube, mais mon service technique m’a expliqué qu’elle serait vraisemblablement, soit totalement censurée, soit « invisibilisée » par les services de YouTube.

J’ai donc malgré tout décidé de vous y donner libre-accès, mais sur une page privée ; pour la regarder et l’écouter, vous pouvez cliquer sur l’image ci-dessous :

Vous y apprendrez :

  • En quoi cette loi piétine le travail précieux accompli par les soignants et les professionnels des soins palliatifs ;
  • En quoi on aurait bien tort de confondre désir de mort et désir de ne plus souffrir (désacraliser la vie n’est pas sans conséquence !)
  • Quelles falsifications sémantiques et tours de passe-passe langagiers le législateur utilise pour essayer de désamorcer nos inquiétudes ;
  • Comment l’État instrumentalise les médecins en réduisant leur liberté de conscience et en les empêchant d’exercer selon leur déontologie (le serment d’Hippocrate ne semble plus qu’un lointain souvenir !)
  • De quelle façon les critiques et les doutes à l’égard de cette « évolution » sont criminalisées par la loi elle-même (en plus de l’être dès maintenant par un discours médiatique volontiers diabolisant) ;
  • Comment la « fabrique du consentement » à l’euthanasie pourrait amener des dérives très graves sur le plan éthique.

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b1364_texte-adopte-commission – « Proposition de loi n°1364-A0 : texte de la proposition de loi de M. Olivier Falorni relative à la fin de vie », site de l’Assemblée nationale

[2] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/euthanasie/31769#:~:text=Acte%20d’un%20m%C3%A9decin%20qui,dans%20la%20plupart%20des%20pays. –